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Coupe du monde 2026 : le Maroc déçu mais fier après sa défaite

L’histoire aurait été belle : un pays en développement d’Afrique du Nord remportant la partie face à trois géants américains et défiant tous les pronostics. Le Maroc n’aura finalement pas gagné son pari. Mercredi 13 juin, 200 fédérations sur les 211 membres de la FIFA se sont prononcées sur le nom de l’organisateur de la Coupe du monde de football en 2026. Le trio Etats-Unis – Canada – Mexique a recueilli 134 voix, le Maroc 65 et un pays ne s’est rangé derrière « aucune des deux candidatures ».

« Nous avons mené une superbe campagne qui a permis au Maroc de démontrer ses capacités à organiser le plus grand événement du monde. Un Maroc de progrès, de tolérance, de développement humain et d’ouverture sur le monde », déclare au Monde Moncef Belkhayat, ancien ministre des sports et membre du comité de candidature « Maroc 2026 ».

Nuits blanches et pourparlers

A Moscou, où se tient le congrès de la FIFA, l’équipe marocaine a travaillé d’arrache-pied, jusqu’au dernier moment, accumulant les nuits blanches. A quelques heures de la décision, les pourparlers se poursuivaient pour tenterd’obtenir des soutiens. « Nous avons rencontré toutes les confédérations : africaine, européenne, asiatique et océanienne. Seule la sud-américaine [très proche de la candidature américaine] a refusé de nous recevoir », raconte un proche de la candidature, depuis Moscou.

Ces efforts n’auront pas suffi à inverser la tendance. Malgré les appels du président de la Confédération africaine de football (CAF), Ahmad Ahmad, à l’unité africaine, onze pays du continent n’ont pas voté pour le Maroc : la Guinée, la Namibie, le Liberia, le Lesotho, le Mozambique, le Bénin, le Botswana, le Cap-Vert, l’Afrique du Sud, la Sierra Leone et le Zimbabwe. Une division qui aura coûté cher au Maroc.

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Plusieurs sources rappellent également le lobbying de l’Arabie saoudite en faveur de la candidature nord-américaine. « Riyad ne s’est pas contenté de voter contre le Maroc, il a aussi mené une intense campagne dans le Golfe et en Asie », avance un bon connaisseur du dossier, qui voit à cela plusieurs raisons : « C’était une façon de s’opposer au Qatar [avec lequel l’Arabie saoudite a un contentieux politique], qui avait déclaré son soutien au Maroc. Mais c’est aussi dû aux pressions économiques venues des Etats-Unis. »

L’enjeu était en effet beaucoup trop important – sur les plans économique et diplomatique – pour l’Arabie saoudite, mais aussi pour tous les pays partenaires des Etats-Unis. « Cela serait dommage que les pays que nous soutenons en toutes circonstances fassent campagne contre la candidature américaine. Pourquoi soutiendrions-nous ces pays quand ils ne nous soutiennent pas (y compris à l’ONU) ? », avait ainsi tweeté Donald Trump, le 26 avril, dans une menace claire aux potentiels réfractaires. Le vote anti-Trump, sur lequel les artisans de la candidature marocaine avaient misé, mettant en avant le Maroc comme « pays d’ouverture et de tolérance », n’aura pas eu lieu.

Une dizaine de partenariats en Afrique

La décision rendue, l’heure est désormais aux comptes pour la partie marocaine. Si le coût global de la candidature du royaume est pour le moment difficile à calculer, on sait que de coquettes sommes ont été dépensées pour « vendre » cette candidature. Deux agences internationales de communication spécialisées dans le sport ont été mandatées par Rabat, dont le géant Vero Communications, qui avait mené la campagne victorieuse du Qatar à l’organisation du Mondial 2022.

Sans compter les partenaires locaux (cabinets de conseil, agences de communication marocaines), les équipes mobilisées (experts, fonctionnaires, personnalités), les nombreux voyages de presse à l’attention de journalistes du monde entier, les frais de publicité ou encore les émoluments destinés aux deux stars du ballon rond, Didier Drogba et Samuel Eto’o, ambassadeurs de la candidature marocaine.

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Pour gagner des voix sur le continent, la partie marocaine n’aura plus lésiné sur les moyens. Depuis trois ans, en marge des déplacements du roi Mohammed VI en Afrique, le royaume a signé une dizaine de partenariats avec des fédérations africaines. Au Rwanda, le Maroc s’est engagé à financer la construction de plusieurs stades. Cette stratégie a servi à l’élection du président de la fédération marocaine, Fouzi Lekjaa, au sein du comité exécutif de la CAF, où le Maroc avait jusqu’alors une représentation limitée, et à faireoublier l’épisode fâcheux de la Coupe d’Afrique des Nations en 2015 – le Maroc avait refusé d’organiser la compétition à la dernière minute, officiellement en raison de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest.

« Dès que le roi ouvrait une porte, on entrait discrètement,raconte un agent sportif marocain sous couvert d’anonymat. Les équipes de football africaines et les présidents des fédérations ont également été invités au Maroc pour des formations. Tout cela a nécessité des frais conséquents. »

« Ces investissements ne sont pas perdus. Malgré la défaite, ils sont à la faveur du Maroc. Dans le bid book marocain[nom donné au dossier de candidature], le pays a présenté des maquettes qui font rêver : stades modulables, TGV, routes, terminaux d’aéroports, gares, infrastructures de santé… », s’enthousiasme un homme d’affaires proche du comité de candidature. Le Maroc a voulu donner au monde l’image d’un pays développé, bénéficiant d’infrastructures uniques. « Au cours du processus, la candidature leur a également permis de nouer de nouveaux partenariats économiques. C’est un investissement à long terme », poursuit-il.

Une bataille acharnée mais « perdue d’avance »

Cet argument économique est certainement l’une des raisons pour lesquelles le royaume s’est engagé dans cette aventure. A l’époque, beaucoup s’étaient interrogés : pourquoi s’engager à la dernière minute, face aux Etats-Unis dont on savait qu’ils ne lâcheraient rien après leur défaite face au Qatar pour l’organisation du Mondial 2022 ? « Les membres du comité étaient réalistes dès le début mais ils ont joué le jeu pour créer un sentiment d’émulation collective. En plus, le Maroc participe à la Coupe du monde cette année, vingt ans après sa dernière participation ! », souligne un proche de la candidature.

Pour les autorités marocaines, le gain en termes d’image politique n’est pas non plus négligeable : en menant une bataille acharnée contre la première puissance économique mondiale, le royaume a voulu montrer qu’il était un acteur d’influence, notamment sur le continent africain, où, depuis 2010, sous l’impulsion de Mohammed VI, le pays a multiplié les investissements, projets de coopération, visites officielles, etc.

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Le satisfecit n’est toutefois pas partagé par tous. « En sachant que la FIFA avait promis l’organisation aux Etats-Unis et qu’ils étaient déjà candidat avant le Maroc, pourquoi se sont-ils engagés dans une bataille perdue d’avance ? »,interroge un intermédiaire marocain qui ne cache pas son amertume : « On ajoute un nouvel échec après ceux de 1994, 1998, 2006 et 2010. On a mobilisé des gens, dépensé de l’argent, donné de l’espoir en s’engageant dans une bataille perdue d’avance. »

Pour les citoyens marocains, reste une question, posée sur les réseaux sociaux depuis des mois : quid des investissements promis dans les infrastructures ? Le pouvoir, qui était prêt à mobiliser quelque 15,8 milliards de dollars (environ 13,3 milliards d’euros) pour organiser une compétition sportive, le sera-t-il toujours pour tenter de réduire les profondes inégalités sociales dans le pays ? « Si on n’organise pas la Coupe du monde 2026, on aura droit aux infrastructures ou on [ne les] mérite pas ? », demandait un internaute marocain sur Twitter à quelques heures de la décision.

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