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La nouvelle Charte de déconcentration : est-elle opérationnelle ?

En application des directives royales, le gouvernement s’est engagé dans la réforme du dispositif juridique régissant la déconcentration, en vue d’une action publique territoriale plus performante. Les efforts de l’Exécutif ont, donc, débouché sur une charte, objet du décret n° 2.17.618 approuvé lors du Conseil du gouvernement, tenu en date du 25 octobre 2018. Hormis quelques innovations limitées, le contenu de la Charte sus-mentionnée, se caractérise par un généralisme excessif, et attise des observations aussi bien de substance que de forme.

D’emblée, l’exposé des visas est hypertrophié. Ses rédacteurs ont, en effet, mobilisé des références juridiques variées, appartenant à des registres normatifs constitutionnel, législatif et réglementaire. Or, les mesures envisagées, reposent sur la révision des attributions et des organisations des départements ministériels et relèvent, de ce fait, du pouvoir réglementaire dévolu au Chef du gouvernement, tel que défini par l’article 72 de la Constitution. Le caractère épars et diffus des normes juridiques auxquelles la Charte se réfère paraît inadéquat, en ce sens que le contenu de la Charte peut être motivé par les dispositions de l’article 72 précité.

De plus, la Charte comporte des engagements appartenant au domaine réservé du législateur. C’est le cas, en guise d’illustration, des dispositions de l’article 17 conformément auxquelles, le gouvernement s’engage, expressément, à réviser les textes législatifs en vue de leur adaptation à la Charte. Or, le pouvoir exécutif n’est pas habilité à s’engager au nom du pouvoir législatif. En d’autres termes, la Charte empiète sur les attributions relevant du Législatif et pose, en conséquence, la question tant de sa conformité aux dispositions constitutionnelles fixant le champ d’intervention du pouvoir législatif (art. 71 de la Constitution), que de son opérationnalité.

Outre l’ingérence dans le domaine législatif, la Charte prévoit la création de représentations déconcentrées interministérielles, afin d’assurer la coordination des politiques sectorielles ayant des points d’intersection. S’il est vrai que cette mesure revêt une importance indéniable car elle permet d’harmoniser les actions menées par les ministères, il n’est pas moins vrai que la non-fixation de critères objectifs (taille démographique, situation économique et sociale etc.) d’identification des territoires susceptibles de les accueillir, peut entraîner la création de structures administratives instables et inopérantes avec, évidemment, une accentuation potentiellement infructueuse de l’inflation institutionnelle qui fragilise l’efficacité de l’administration dans son entièreté.

Aussi, la Charte, bien qu’elle se fixe comme objectif cardinal la revalorisation du rôle des walis et des gouverneurs, ne précise pas les pouvoirs dévolus à ces derniers, et se limite à indiquer, en propos excessivement généralistes, qu’ils coordonnent l’action des services déconcentrés de l’Etat. Dans les faits, il est particulièrement difficile pour un coordonnateur de mener à bon escient sa mission, s’il n’est pas doté de moyens juridiques concrets, l’habilitant à contrôler les activités des structures concernées et à en exiger des comptes.

Dans le sillage de la revalorisation du statut des walis et des gouverneurs, la Charte éclaircit davantage les attributions des Comités techniques préfectoraux et provinciaux, mais elle ne les a pas dotées de pouvoirs financiers ou, au moins, assortis d’incidences financières. Par voie de conséquence, ces Comités, présidés par les walis et les gouverneurs territorialement compétents et composés des chefs des services déconcentrés de l’Etat, demeurent des espaces de concertation plutôt que de décision.

Au demeurant, la Charte instaure un Comité interministériel central, chargé de la déconcentration administrative. La mise en place d’une institution analogue permet, certes, de se doter d’un espace de consultation et d’échange à même de renforcer la dynamique de déconcentration. Toutefois, la Charte ne précise pas si les avis en émanant, constituent de simples recommandations, dénuées de l’effet contraignant, ou, au contraire, des résolutions obligatoires, donc, opposables à leurs destinataires.

En l’état, la Charte de déconcentration, quoique qu’elle incarne un projet ambitieux et une opportunité permettant d’accompagner la dynamique de la régionalisation avancée, émet des risques considérables d’inopérance, susceptible de la transformer en un texte ineffectif qui, in fine, s’ajouterait à un répertoire de textes juridiques, déjà pléthorique et inefficace.

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