Dans une double chronique retentissante, l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun tire la sonnette d’alarme sur ce qu’il qualifie de « crise morale et de civisme » au Maroc. Partant de la flambée des prix qui pénalise les citoyens et les touristes, il dresse un constat sévère sur un pays où la « soif d’argent facile » semble l’emporter sur le sens des valeurs et le respect d’autrui.
Un « Maroc trop cher » qui fait fuir les MRE
S’appuyant sur les nombreuses réactions à son précédent article, Ben Jelloun souligne que le coût de la vie au Maroc est devenu une préoccupation majeure. Il dénonce une « fièvre de l’or » qui pousse les restaurants et commerces à pratiquer des prix « honteusement » alignés sur les standards européens, sans offrir la même qualité de service.
Cette situation, selon lui, a un impact direct sur le tourisme, notamment celui de la diaspora marocaine. Alors que les chiffres officiels restent optimistes, de nombreux Marocains résidant à l’étranger (MRE) affirment avoir renoncé à leurs vacances au pays. Ils préfèrent désormais l’Espagne ou la Turquie, lassés des prix exorbitants des billets d’avion, des traversées en ferry et des séjours hôteliers. Un MRE, du nom de Karim, cité par l’auteur, exprime un « dégoût » croissant face aux arnaques et à la corruption, appelant même à un boycott du Maroc pour l’année 2026.
Une crise économique et morale
Pour Ben Jelloun, le problème va bien au-delà de la seule inflation. Il s’agit d’une « libéralisation sauvage » où le profit est roi et où l’égoïsme domine. Il cite l’exemple de la santé privée, des laboratoires d’analyses ou encore des écoles privées qui, malgré leur utilité, pratiquent des tarifs hors de portée pour la majorité des Marocains. La cherté des produits de base comme les figues ou les sardines est un autre symptôme de cette « politique du profit » qui ignore les citoyens aux revenus modestes.
L’auteur appelle l’État à intervenir pour réguler les prix, comme ce fut le cas pour certains médicaments, et à mettre en place des politiques qui prennent en compte le pouvoir d’achat de la population. Il insiste sur la nécessité d’une politique « citoyenne », allant dans le sens du dernier discours royal, quitte à ce que « les grands acteurs acceptent de céder une petite partie de leur marge ».
L’incivisme, un mal qui gangrène la société
La seconde partie de sa chronique est consacrée à la dégradation du civisme et du respect mutuel. Ben Jelloun, témoin de scènes d’incivilité dans le train ou dans un immeuble, dénonce l’égoïsme et le manque d’éducation. Il raconte ses observations dans un TGV Al Boraq où une passagère hurle au téléphone, un homme ne tire pas la chasse d’eau dans les toilettes, ou encore les nombreux cas de copropriétaires aisés qui refusent de payer leurs charges.
Ces « petites choses qui ne semblent pas importantes » sont pour l’écrivain le reflet d’un « manque de savoir-vivre et de respect de la communauté ». Il met en parallèle le projet de « lifting » des villes en vue de la Coupe du Monde 2030 avec la nécessité de « commencer par exiger un comportement civique digne et responsable ». Pour lui, la vraie modernité ne se résume pas aux infrastructures, mais réside dans les valeurs d’honnêteté, de respect et d’amour de la patrie.
En conclusion, Tahar Ben Jelloun s’inquiète de la voie qu’emprunte le Maroc, un « drame étrange » où le « manque de valeurs ou le sacrifice de ces valeurs » conduit à un « désordre moral qui ouvre les portes à la corruption, au laxisme et à un égoïsme mortifère ».