Économie

La directive européenne et les transferts des Marocains du monde : un test de souveraineté et de résilience stratégique

Introduction : Les transferts de la diaspora comme levier géostratégique

Les transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE) constituent un pilier majeur de l’économie et de la souveraineté financière du Royaume. En 2024, ces transferts ont atteint 117,7 milliards de dirhams, soit 7,7 % du PIB. Leur stabilité n’est plus seulement une question budgétaire, mais un enjeu diplomatique et stratégique. La directive européenne publiée en juin 2024, dont l’entrée en vigueur est prévue pour janvier 2026, représente un double défi : un durcissement réglementaire pouvant entraver les opérations bancaires marocaines en Europe et une opportunité pour redéfinir les liens entre le Maroc, sa diaspora et ses partenaires européens.

Pression réglementaire et risques asymétriques

La directive européenne illustre le concept de « pouvoir normatif doux » :

Neutralité apparente, impact ciblé : Bien que le Maroc ne soit pas explicitement visé, les exigences de conformité pourraient limiter l’activité des banques marocaines dans l’UE et augmenter le coût des transferts.
Instrument de rééquilibrage géoéconomique : L’UE utilise ses normes internes pour peser sur ses partenaires extérieurs.
Dépendance structurelle révélée : Le poids des transferts dans l’économie marocaine souligne une vulnérabilité stratégique.

Scénarios post-2026 :

Hausse du coût des transferts via des frais supplémentaires ou procédures administratives complexes.
Recours à des canaux informels, réduisant le volume déclaré et compliquant le suivi macroéconomique.
Répercussions sur la consommation locale, en particulier dans les zones dépendantes des transferts de la diaspora.
Pression accrue sur les réserves en devises, affectant l’équilibre macroéconomique du Royaume.

La réponse marocaine : défense institutionnelle et offensive stratégique

Consolidation interne

Pour sécuriser les flux et anticiper les risques, le Maroc a mis en place une task force permanente regroupant Bank Al-Maghrib, les ministères des Finances et des Affaires étrangères, ainsi que les banques concernées.

Une première réussite a été la négociation d’un accord avec la France en juin 2025, représentant plus de 30 % des transferts MRE, afin de clarifier les modalités et lever toute ambiguïté réglementaire.

Projection externe

Le Maroc adopte une approche proactive :

Repositionner le dossier en tant que partenariat stratégique avec l’UE.
Créer des alliances avec l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas pour peser collectivement sur les décisions européennes.
Mobiliser la diaspora comme acteur d’influence capable d’intervenir sur les débats publics et politiques.

Vers une économie de la diaspora : stratégies d’intégration et d’innovation

La crise actuelle invite à repenser le modèle économique des transferts :

Capital humain : Renforcer l’inclusion financière et numérique des MRE pour les intégrer pleinement dans les dynamiques de développement.
Innovation technologique : Développer des plateformes de transfert marocaines conformes aux standards européens.
Transformation productive : Orienter une partie des transferts vers des investissements locaux à travers des instruments financiers adaptés.
Résilience monétaire : Consolider les réserves en devises pour amortir les chocs extérieurs.

Leçons internationales

L’Égypte et les Philippines montrent l’importance stratégique des transferts :

Égypte (2023) : 31,9 milliards de dollars, soit trois fois les recettes du canal de Suez.
Philippines : Transferts représentant 9 % du PIB.
Ces pays ont institutionnalisé les flux et les ont intégrés dans leurs stratégies nationales, offrant un modèle pour le Maroc.

Conclusion : transformer la contrainte en levier stratégique

Les transferts MRE ne sont plus de simples flux monétaires : ils représentent un indicateur de puissance et de résilience.

Le véritable enjeu dépasse la simple réponse à la directive européenne : il s’agit de bâtir un écosystème économique et diplomatique robuste, capable de transformer les vulnérabilités en leviers stratégiques.

La combinaison entre pragmatisme négociateur et audace réformatrice déterminera l’avenir de la souveraineté financière marocaine et la solidité des liens entre le Royaume et sa diaspora.