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« Aïta », une anthologie pour faire revivre cette expression musicale oubliée

MUSIQUE – Très populaire à la fin du 19e siècle, l’expression musicale traditionnelle de l’aïta (cri ou appel) refait surface grâce à un coffret présenté à Casablanca le 27 février et réalisé par l’association Atlas Azawan, sous la direction de Brahim El Mazned.

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Composée de deux livrets de présentation, en français et en arabe, et de dix CDs enregistrés par quelque 250 artistes et musiciens, dont une trentaine d’interprètes, au Studio Hiba à Casablanca, cette anthologie rassemble les sept types ou couleurs de l’aïta qui diffèrent selon les régions. Hasbaouia, Mersaouia, Jeblia, Zaâria, Chaïdmia, Haouzia et Filalia (ou Beldia).

“Les artistes ont été extrêmement collaboratifs, sensibles au projet, ils arrivaient au studio avec des photos d’archives, des mémoires… Nous avons fait en sorte qu’ils s’approprient l’espace, en essayant de transmettre cette complicité dans les enregistrements”, raconte au HuffPost Maroc Brahim El Mazned, directeur du salon Visa for Music et directeur artistique du festival Timitar.

Les plus jeunes pourront découvrir cette expression musicale, féminine à l’origine, qui a bercé l’enfance de leurs aïeuls, alors que les anciennes générations qui ont grandi dans les petites villes agricoles, lieux de naissance de l’aïta, voyageront à travers le temps grâce aux différents morceaux disponibles dans le coffret.

Mais si le coffret peut provoquer un sentiment de nostalgie chez quelques personnes, Brahim El Mazned ne cherche cependant pas à pleurer un passé oublié. “Dans ce livre je ne voulais surtout pas avoir un côté pleurnichard, je voulais tout simplement dépoussiérer, créer un bel objet, et faire l’état des lieux de cette expression purement marocaine”, affirme l’auteur.

« Le témoin de notre histoire marocaine »

Malgré sa réputation de musique de fêtes, célébrations et mariages, ses textes renferment des histoires parfois douloureuses liées à des mésaventures personnelles comme l’histoire de Kherboucha que le livret ne manque pas de mentionner. Dans ses poèmes rythmés, Kherboucha avait fait appel aux saints pour la sauver des mains du tyrannique Caïd Aissa, mais il peut également s’agir, dans d’autres textes, de bribes d’histoire du Maroc.

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Pour Brahim El Mazned, l’aïta est « le témoin de nos douleurs, de nos joies, et de notre histoire marocaine” qui mériterait une meilleure place sur la scène culturelle nationale.

“Les textes parlent de vérités et des expériences vécues par les auteurs mais racontent surtout les révolutions du pays”, explique Salah de la troupe de Oulad Bouazzaoui, rappelant que l’aïta est née du mariage entre la culture des tribus arabes et celle des tribus berbères.

Les textes, transmis oralement de cheikh au disciple, sont donc très longs et contiennent des anciennes expressions, ce qui les rend difficiles à apprendre comme l’explique au HuffPost Maroc Bouchaib, d’une troupe de l’aïta Hasbaouia.

Pour Salah, plusieurs nouveaux groupes de l’aïta n’accordent de l’importance qu’à l’aspect musical de celle-ci, nuisant ainsi à son image. “Avant d’être une musique, l’aïta est tout d’abord un sentiment, et si tu ne le ressens pas, tu ne pourras pas transmettre l’émotion derrière les textes”, assure-t-il.

Selon Hafida El Hasnaouia, cheikha depuis 47 ans et disciple de la grande Fatna Bent El Houssein, ces groupes de chaâbi qui s’adonnent à l’aïta sont de plus en plus nombreux. “Avant il n’y avait pas beaucoup de cheikhs, on se connaissait tous, on se retrouvait dans les fêtes de mariages, maintenant on a moins de travail parce qu’on est plus nombreux”, regrette-t-elle.

Un festival national de l’aïta

Les trois musiciens sont unanimes: la solution qui pourra sauver l’art de l’aïta est “un festival national organisé sous la tutelle du ministère de la culture », qui assurerait la longévité de cette expression.

Ils proposent également la création de programmes télévisés qui pourraient faire connaître l’aïta à un plus grand nombre. “Aujourd’hui, lorsqu’on nous ramène à la télé, on nous demande de jouer cinq minutes alors qu’un poème de Kherboucha par exemple peut durer des heures”, déplore Bouchaib.

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De son côté, Brahim El Mazned croit en l’importance de créer des maisons dédiées à cette expression, puisqu’elle ne peut plus être apprise comme avant, “lorsque des jeunes filles divorcées ou qui ont subi des difficultés dans leur vie passent entre les mains d’un cheikh pour suivre leur passion ».

À travers la réalisation de ce coffret, l’auteur espère aussi responsabiliser les personnes qui peuvent aider cette expression à retrouver sa splendeur d’antan, “que ça soit la future mariée qui inviterait un groupe de aïta au lieu d’un DJ, ou les autorités qui peuvent inscrire l’aïta dans le patrimoine immatériel de l’Unesco », illustre-t-il, optimiste.

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