Les dysfonctionnements des circuits de commercialisation des produits alimentaires

Le Conseil de la Concurrence vient de publier un avis (A/1/25) sur « l’état de la concurrence au niveau des circuits de distribution des produits alimentaires » (152 pages). Un document bien fourni et riche en données sur les produits alimentaires retenus dans l’analyse à savoir : produits laitiers (Lait pasteurisé et lait UHT, beurre, fromage fondu en format triangulaire) ; famille des pâtes alimentaires et couscous ; famille des conserves végétales, plus précisément le double concentré de tomate et la confiture.
Globalement, on ne constate pas une grande différence entre les prix appliqués dans le secteur traditionnel et ceux appliqués par la GMS (grande et moyenne surface). Pour les prix moyens de vente des pâtes alimentaires, on constate que le circuit moderne affiche des prix globalement plus élevés que le circuit traditionnel.
Une forte concentration de la GMS.
Par ailleurs, le marché moderne se caractérise par une forte concentration au bénéfice des deux enseignes connues sur la place à savoir Carrefour et Marjane qui détiennent à eux-seuls deux tiers des parts de marché. Cette concentration est doublée d’une concentration géographique : Rabat et Casablanca abritent 46% des points de vente et 50% de la superficie totale. C’est un secteur, de par sa structure oligopolistique, relativement « fermé » : il est difficile aux nouveaux rentrants d’obtenir une place. Preuve ? On compte à peine trois nouveaux entrants en 10 ans ! Les obstacles à l’entrée sont nombreux : montant d’investissement élevé, indisponibilité du foncier commercial, coût logistique élevé, barrières pour l’accès aux fournisseurs
Sur le plan macroéconomique, les circuits de distribution des produits alimentaires fonctionnent de manière efficiente grâce à une structuration progressive et une dynamique d’adaptation aux besoins du marché, assurant un approvisionnement régulier et constant du marché en produits alimentaires, même dans les périodes de crise.
Cette efficience de fonctionnement est également attribuable à l’équilibre maintenu entre le circuit traditionnel et le circuit moderne. Le maintien de cette coexistence entre les deux circuits est essentiel pour préserver la diversité et l’équilibre du système de distribution alimentaire. Les circuits traditionnels, profondément ancrés dans les habitudes des consommateurs marocains, jouent un rôle crucial dans l’approvisionnement des zones rurales et des quartiers populaires, tout en offrant des produits adaptés aux besoins spécifiques de ces communautés. De leur côté, les GMS apportent une modernisation et une standardisation des pratiques commerciales, en garantissant un large choix de produits, une qualité constante et une expérience client structurée. Cette complémentarité permet de répondre à la fois aux attentes d’un consommateur en quête de proximité et à celles d’un public attiré par la modernité et la diversité. Encourager cette coexistence implique de soutenir les petits commerçants dans leur transition vers des pratiques plus professionnelles et numériques, tout en continuant à développer les infrastructures et la réglementation, permettant aux GMS de prospérer. Ensemble, ces deux modèles assurent un accès équitable aux produits alimentaires, renforçant ainsi la résilience et l’inclusivité du système de distribution marocain.
Cependant, le Conseil de la Concurrence relève une gouvernance du secteur marquée par la multiplicité des intervenants pénalisant l’efficacité de son organisation.
La résilience de « Moul Lhanout ».
Contrairement, à ce qu’on pourrait penser a priori, le secteur du commerce et de la distribution au Maroc demeure amplement prédominé par le commerce traditionnel (grossistes, semi-grossistes et épiciers de quartier appelés communément moul’hanout), avec environ 80% du chiffre d’affaires et près de 99% des points de vente du secteur, et ce, malgré l’essor de la distribution moderne (grande distribution et E-commerce) durant ces dernières années.
D’ailleurs, les résultats de l’analyse menée sur les trois familles de produits analysées à titre d’illustration, corroborent cette conclusion dans la mesure où, les circuits de distribution traditionnels représentent près de 86% pour les produits laitiers, environ 75% pour la famille des conserves végétales (concentré de tomates et confiture) et plus de 95% pour la famille du couscous et des pâtes alimentaires.
Toutefois, les circuits de distribution traditionnels demeurent fragmentés et peu coordonnés compliquant la mise en œuvre des mesures d’accompagnement.
Précisément, avec ses 120 000 points de vente de détaillants et 4 000 grossistes au niveau national (sans compter le commerce non-sédentaire), le commerce traditionnel se distingue par sa forte fragmentation et la multiplicité des intermédiaires, rendant le circuit de distribution long et atomisé, avec en moyenne 3 à 4 maillons séparant le producteur du consommateur final. Ce constat s’amplifie davantage dans le rural où les souks hebdomadaires assurent une part significative du commerce des produits alimentaires transformés
En parallèle, les circuits de la distribution moderne de la GMS s’imposent progressivement avec l’accélération du rythme de leur développement. Le secteur affiche des taux de croissance à deux chiffres de ses principaux indicateurs économiques. Le chiffre d’affaires total s’élève en 2024, à plus de 40,9 milliards de dirhams (la part de l’alimentaire représentant près de 75% du CA), en progression de près de 17% en glissement annuel, et de 33% par rapport à 2021.
L’émergence de l’E-commerce.
De même, le consommateur marocain est de plus en plus enclin à recourir à l’e-commerce, tandis que les opérateurs sont de plus en plus nombreux à proposer la commande de leurs produits via ce canal. Cette tendance est confirmée par la progression continue des paiements en ligne effectués par cartes bancaires marocaines.
Les derniers chiffres disponibles du Centre Monétique Interbancaire (CMI) à fin septembre 2023, indiquent que le nombre total des sites marchands de supermarchés et d’hypermarchés recensés par le CMI s’élève à 1695 et que les opérations de paiement en ligne par cartes bancaires, marocaines (94% du total des transactions) et étrangères, affichent une croissance significative de l’ordre de 23,4% en nombre et 23,6% en montant en glissement annuel.
Dans l’ensemble, les marges commerciales brutes des différentes familles de produits examinées, ont enregistré une augmentation de manière continue durant ces trois dernières années, avec toutefois quelques nuances distinctives, contribuant ainsi à l’augmentation de l’inflation. Ainsi, il apparait qu’entre 2021 et 2022, les intervenants des deux circuits de distribution (traditionnel et moderne) ont répercuté, globalement, avec quelques nuances distinctives, une hausse des prix de vente supérieure à l’augmentation qu’ils ont subi sur leurs prix d’achat et de même, une baisse, entre 2022 et 2023 relativement moins importante à celle appliquée par les différents fournisseurs.
Par ailleurs, il importe de préciser que la marge brute des GMS précitée représente la marge avant, à laquelle, s’ajoute une deuxième marge arrière qui s’élève en moyenne à près de 9% (tous produits et enseignes confondus), et qui a, elle aussi, marqué une hausse chez certaines enseignes pour quelques produits analysés dans l’avis du Conseil.
Moderniser plus et améliorer la gouvernance.
Comme on pouvait s’y attendre, l’avis du Conseil de la Concurrence s’est terminé par une série de recommandations portant sur la modernisation des circuits de distribution des produits alimentaires, l’accompagnement du développement du secteur en améliorant sa transparence. On mentionnera notamment les recommandations suivantes :
-Renforcer le cadre légal et réglementaire régissant le secteur des circuits de distribution des produits alimentaires en vue de l’adapter aux évolutions de son écosystème.
-Encadrer le dispositif de l’urbanisme commercial pour un développement harmonieux du tissu économique local et une meilleure intégration des activités commerciales dans l’aménagement urbain.
-Structurer et dynamiser le schéma de gouvernance des circuits de distribution des produits alimentaires pour une harmonisation des interventions institutionnelles.
-Instaurer un dispositif de veille et de collecte de données favorisant davantage la transparence du secteur.
-Soutenir l’offre de formation pour répondre aux besoins du secteur en ressources humaines.
-Réorganiser les chaînes d’approvisionnement pour accompagner la modernisation du commerce traditionnel.
-Renforcer la relation commerciale fournisseur-distributeur dans les circuits de la grande distribution en encadrant la coopération commerciale.
Trois remarques pour conclure : la première tient à l’absence d’un résumé exécutif qui faciliterait la lecture rapide du rapport. Heureusement, la partie relative aux conclusions et recommandations a comblé cette lacune ; la deuxième remarque porte sur la fiabilité des statistiques qui émanent pur l’essentiel des déclarations des fournisseurs et des vendeurs. Le Conseil devrait en principe émettre des réserves par rapport à ces données ; la troisième et dernière remarque est de forme. Le texte est truffé de sigles et il aurait fallu indiquer un listing des sigles utilisés. En définitive, le rapport mérite d’être lu et relu.
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