Économie

JTI à Tétouan : l’investissement japonais est « empoisonné » par un lourd passif de scandales sanitaires et de contrebande

Japan Tobacco International (JTI) se prépare à lancer une nouvelle phase d’investissement stratégique au Maroc avec l’inauguration d’une usine géante dans la zone industrielle de Tétouan Park d’ici la fin de 2025. Le coût de cet investissement s’élève à environ 930 millions de dirhams.

Bien que JTI présente son projet comme un modèle de durabilité sous le concept de « Green Factory », misant sur l’énergie solaire et des techniques de recyclage de l’eau, cette image positive est sérieusement remise en question par le lourd passif international de l’entreprise, entaché par d’énormes dossiers juridiques, des scandales sanitaires, et des soupçons de défaillance en matière de gouvernance et d’environnement. Ce bilan jette une ombre sur la crédibilité des engagements de JTI en matière de responsabilité sociale et soulève des interrogations profondes sur les risques associés à cet investissement, qui vise à renforcer la production locale de produits du tabac, avec une partie destinée aux marchés d’Afrique de l’Ouest.

Fardeau financier et risques sanitaires majeurs

L’un des dossiers les plus accablants pour JTI à l’échelle internationale est l’affaire historique au Canada contre sa filiale JTI-Macdonald. Cette affaire découle de recours collectifs intentés en raison des dommages sanitaires graves (cancers, maladies cardiaques et respiratoires) causés par ses produits entre les années 1950 et 1990.

Dans un développement décisif, la Cour supérieure de l’Ontario a approuvé en mars 2025 un accord de règlement global, obligeant JTI-Macdonald et d’autres compagnies de tabac à payer un montant total de 32,5 milliards de dollars canadiens sur une période de 20 à 30 ans.

Selon un communiqué officiel de l’entreprise, que Al3omk a pu consulter, ce règlement sera financé par un mélange de liquidités existantes et de paiements annuels massifs provenant des bénéfices nets, débutant à un taux de 85% pendant les cinq premières années. Cet engagement représente une pression financière considérable sur les ressources de la maison mère, risquant d’affecter sa capacité à financer de véritables initiatives de responsabilité sociale, tout en constituant une reconnaissance implicite des risques sanitaires inhérents aux produits du tabac.

Doutes sur la gouvernance et le trafic illicite

Outre les risques sanitaires, JTI fait face à de sérieuses questions sur sa gouvernance interne et son engagement contre le commerce illicite. Un rapport de 2011 de l’OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project) a révélé l’implication de distributeurs de JTI-Macdonald dans de vastes réseaux de contrebande.

Des documents divulgués ont montré que des employés dans des régions clés (Russie, Balkans, Moyen-Orient, Afghanistan) avaient averti la haute direction de l’existence d’opérations de contrebande massives, mais ces alertes auraient été ignorées. Pire, l’entreprise aurait intenté des poursuites contre certains employés lanceurs d’alerte. Des enquêtes ont également mis en évidence la connaissance par JTI de transferts commerciaux illégaux en Irak et en Syrie, incluant le paiement de pots-de-vin à des douaniers pour le passage de cargaisons de cigarettes de contrebande. Ces faits soulignent une faiblesse structurelle dans le respect des principes de bonne gouvernance, soulevant des inquiétudes quant à la possible récurrence de telles pratiques sur de nouveaux marchés comme le Maroc.

Contradictions environnementales malgré l’étiquette « Green Factory »

Malgré la promotion de l’usine de Tétouan comme une « usine verte » utilisant 40% d’énergie solaire et des techniques avancées de recyclage d’eau, le bilan environnemental de la maison mère, Japan Tobacco, raconte une autre histoire.

Selon la base de données américaine Violation Tracker, documentant les violations des grandes entreprises, JTI a enregistré plusieurs infractions environnementales depuis 2000, lui coûtant des amendes totalisant 224 100 dollars américains suite à trois affaires majeures intentées par l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA).

Ces infractions opérationnelles et réglementaires soulèvent des doutes sérieux sur la capacité de l’entreprise à adhérer pleinement aux normes environnementales annoncées à Tétouan. La durabilité, a souligné Al3omk, exige une culture de conformité bien ancrée, ce qui semble manquer au vu du passif de l’entreprise.

L’usine prévoit une production annuelle de 4 milliards d’unités de cigarettes, avec une capacité d’extension à 10 milliards. JTI vise également à introduire de nouveaux produits comme les dispositifs de tabac chauffé (Ploom) et les produits de vapotage, un secteur soumis à une réglementation mondiale stricte et changeante.

En conclusion, le projet de JTI à Tétouan, bien qu’il promette des investissements et des emplois, est entaché de profondes contradictions. La question centrale demeure : cette usine sera-t-elle une plateforme de production véritablement responsable, ou simplement une vitrine d’investissement brillante masquant les pratiques et les risques qui ont marqué l’histoire de JTI pendant des décennies ? Le cadre réglementaire marocain sera le véritable juge de cet engagement.

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