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« Lettre d’un séparatiste à son fils »

Je sais, mon fils que tu dois te poser un tas de questions. Très déçu, coincé dans ces camps, après tant d’années sans lueur d’espoir à l’horizon. Tu n’es point dans l’obligation de m’en dire plus, je le lis dans tes yeux tristes. Je le vois dans les yeux de tes pairs. Je le vis au jour le jour au sommet de notre organisation fantoche.

Et ça me fait un mal fou, au plus profond de mon âme, de te voir ainsi souffrir en silence avec ta rancune, vociférer parfois contre ton pays considéré un ennemi, contre tes concitoyens considérés tes oppresseurs. Je te vois errer sans trouver la paix perdue, par bêtise, depuis 45 ans. Oui mon fils la moitié de ta vie s’est vu embourber dans ce conflit inutile, insensé, inventé par des grabataires dont je fais partie. J’en suis éhonté, mais navré aussi de t’y avoir embarqué et embrigadé.

J’aurais du t’en exempter et te protéger, t’en extirper, mais que dire, la folie des grandeurs et les forces obscures de la guerre froide, tout d’abord, nous ont poussé dans cette gueule du loup qui a englouti petits et grands. Puis, plus tard, des images fabriquées maquillées en un futur rose bonbon, mais ne recélant que violence, haine et calomnies à l’encontre d’une patrie qui était la notre. Et est prête à redevenir ainsi pour autant qu’on accepte qu’elle demeure être la notre et que nous soyons les siens et symbiose.

Nous avons été, et toi mon petit avec, nourris au biberon du racisme contre soi, sa patrie et les siens. Ces lugubres idées, venues d’autres contrées, difficilement décelables, ont ainsi fait voler en éclats un autre idéal d’une ensemble où tous seraient heureux, respectés, satisfaits, reconnus. Un dessein qui aurait pu dessiner d’autres contours à toute notre région du Grand Maghreb. Ça c’était sans compter les manoeuvres, les ingérences et les interférences endogènes et exogènes des porteurs du dessein de la division et la désunion de cet ensemble qui devrais, un jour, peser.

A l’âge où tu commençait, timidement, à former tes propres idées et à voler de tes propres ailes, ces derniers ont brisées par des doctrines apprises, hors sols, dans les caraïbes, dans de sponsorisées universités d’été ou ailleurs. Ainsi on t’a estampillé du fer rouge pour devenir ce que tu es. Je m’en veux pour t’avoir ainsi embobiné sans pouvoir trouver d’issue aujourd’hui pour remonter le temps. Tu voudrais peut être que tout ce mirage, qui s’éloigne, aujourd’hui plus qu’hier, devienne réalité; mais force est de constater que c’est peine perdue. Je ne le conçois plus, au fond de mon âme, même si je résiste à le reconnaître humblement. Oui humblement, une fois encore, je te formule des millions d’excuses pour le gâchis de tes 45 années passées à croire à un mirage dans ce mouroir poussiéreux.

Je suis tout à fait conscient que tu ressentes le choc aujourd’hui. Je l’entends dans ta voix quand tu te poses un tas de questions dont les réponses sont claires, mais que je n’ose admettre. Oui je vois tout en tant que père et prévois; mais là, j’avais mal prévu et vu parce que aveuglé par une vanité et des mentors parfois infréquentables et haineux d’un autre temps. Et, crois moi mon fils, des blessures, moi aussi, j’en ai eu et des profondes car je devais vivre dans le déni en plus. Tu sais, de béantes balafres internes et profondes qui n’ont jamais cicatrisé, de tragiques moments quand je méditais, souvent seul dans le désert, ou la nuit dans ce maudit camps poussiéreux en regardant le ciel étoilé, des instants qui étouffent l’envie de croire à ce mirage dans lequel je t’avais embarqué à ta naissance, anesthésiant ton désir de grandir sainement, de voyager librement sans entonner des chants inutiles gangrénant ta vie et celle de milliers de tes semblables à jamais.

J’avais la moitié de ton âge quand j’ai commencé à me faire emporter dans ce mirage et on m’a miroité des lendemains meilleurs. Aujourd’hui, presque mourant, je n’y crois plus. Mais bon, je devais toujours dire, quoi qu’il advenait, mission accomplie. On nous avait dit qu’il était de notre devoir d’exiger de notre mère patrie des concessions; arracher un territoire, former un état, aussi fantoche soit-il, et permettre à d’autres états de bénéficier des atouts de ce nouveau territoire. Et ça, mon fils, c’était le filigrane de la géostratégie d’avant le mur et du temps de la guerre des blocs.

Aujourd’hui, de toutes les forces qui me restent, j’admets que ce demi siècle d’exil forcé et de déni était inutile non constructif et suicidaire. Oui, nous avons « merdé » mon fils. On vous a greffé à une idée non fertile, non féconde et morbide.

Tu ne devrais plus, mon fils, te poser les mêmes interrogations que notre génération de grabataires. Le temps des guerres est fini. Survivront uniquement ceux qui auront bâti des projets de groupement de nations et de projets d’avenir résiliants, de nouvelles routes commerciales, de nouvelles chaines de valeurs et de nouvelles sociétés de savoir pour leur peuple. Tu ne devrais plus te demander, mon fils, si l’ONU devrait faire ci ou ça, de savoir si le conseil de sécurité devrait faire ou pas faire renouveler une mission ou prendre une résolution, ni compter sur une quelconque UA ou OUA etc… Au contraire, tu devrais te concentrer et plancher sur des projets d’avenir pour le Maghreb avec les Maghrebins. Oui, avec tes pairs, tu devrais songer à organiser des hackathons des webinaires, des séminaires et des rencontres, enfin, avec tes semblables, pour créer, innover. Votre mission et votre vrai combat sera de créer des startups, de la valeur et des projets à Laayoune, Geurgerate, Agadir, Nouadibou, Nouakchout, Souss, Bizerte, Oran, Moustaghanem, Tripoli, Misrata…

Ainsi tu ne devrais plus avoir peur de lire dans le regard des autres de la défiance ni dans celui des autres Maghrebins de la méfiance, le déni, le rejet. Tu ne devrais pas te soucier de savoir comment vivre dans ce pays du Grand Maghreb ou cet autre. Tu es Maghrebin, saches le, que tu sois Hassani, Amazigh ou Arabe ou les trois à la fois. Tu es un mix de toutes ces choses qui font de ton identité une richesse qui doit se conjuguer aux richesses de notre vaste territoire; ce mastodonte Grand Maghreb.

A quand le Conseil du Grand Maghreb? Le Conseil Economique du Grand Maghreb? Le Conseil de Sécurité du Grand Maghreb? Le Parlement du Grand Maghreb? Le Conseil des Jeunes Maghrebins? Ce sont là les questions et les défis auxquelles votre génération, mon fils, doit trouver des réponses pour un vrai Grand Maghreb des peuples.

Quand à nous, grabataires, donnons nos langues aux chats, et taisons nous, car nous avons merdé.

Voilà, mon fils, j’espère que vous saurez vous extirper de ce mirage qui a floué notre vie et celles d’êtres qui nous sont chers. Te transmettre ce legs désastreux serait un crime. Eloignes-toi en et construis de vrais rêves dans la réalité.

Elhoussaine Ouhlisse est enseignant, ancien élu local, militant associatif et observateur politique et économique de la région MENA.

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