Politique

Les élections françaises vues par Ouhlisse Elhoussaine, ancien élu local du parti socialiste

Le premier tour des élections françaises a eu lieu dimanche, 10 avril 2022. Sans surprise, Emmanuel Macron a remporté la première place suivie de Marine Le Pen. Pour décortiquer les résultats de ces élections, nous avons contacté Ouhlisse Elhoussaine, Enseignant, Militant associatif et politique, ancien élu local du parti socialiste en charge des jumelages et de la coopération décentralisée (Val de Reuil) et membre de la diaspora marocaine en France, qui a répondu aux questions d’Alomk Almaghribi, à cet égard.

1- Quelle est votre lecture des résultats du premier tour des élections présidentielles françaises ?

Tout d’abord je vous remercie de me donner cette occasion pour revenir sur les résultats de ce premier tour des élections présidentielles de la République Française.

Au vu des derniers résultats et la façon dont les 36 millions de Français, n’ayant pas boudé ces les urnes, ont voté, il en ressort les éléments suivants:En premier lieu, c’est une vraie douche froide pour les partis politiques historiques, hormis les insoumis de Jean-Luc Mélenchon toujours ancré à gauche avec ses slogans de campagne; “un autre monde est possible” et “l’union populaire.” C’est la continuité de la balkanisation/implosion du paysage politique traditionnel de gauche comme de droite depuis l’arrivée d’un nouveau venu en 2017, Emmanuel Macron avec ses marcheurs qui ont surgis de nulle part. C’est et ce sera surement le vrai défi pour les années, voire même à court terme pour les mois à venir. Les autres formations politiques devront se trouver une vraie raison d’être ou disparaître. Ceci impose évidemment une vraie remise en question des ténors des partis à la lumière de leurs scores respectifs, le moins qu’on puisse dire, très désastreux pour la gauche et la droite traditionnelles. Seuls les nouveaux venus, voire les nouveaux nés, et l’extrême droite peuvent se targuer d’une percée phénoménale et inattendue même des fins analystes politiques et autres instituts de sondages. Est-ce un désir de l’électorat? Est-ce un changement des bases militantes? Est-ce un décalage entre les attentes des électeurs et les programmes des partis? Est-ce la faute des médias? Toutes ces questions, bien que légitimes, ne sauraient expliquer ce qui s’est passé ce 10 avril 2022; un vrai séisme qui augure de décompositions et recompositions naturellement et impose une reconquête de l’électorat très volatile et qui n’obéit plus au appels des appareils.

 

2- Quel est l’avenir du Parti socialiste et du parti « Les Républicains », après leur défaite ?

 

Quel avenir pour les partis de gauche comme de droite! Il faut d’abord payer les dettes qui seront laissées par leurs campagnes inaudibles puisqu’ils n’ont pas franchi les 5% des voix nécessaires pour prétendre à un remboursement de frais de campagne. Chose que certains militants, pourtant très engagés et suite à l’appel aux dons, déclarent ouvertement que les concernés doivent assumer eux-mêmes leurs défaites et les frais qui vont avec. Pour certaines formations, le risque de la faillite est plus que probable. investis dans des campagnes vraiment inaudibles, le cas de la gauche sociale et écologiste,  ou qui courent toutes dans le même sens et se chevauchent comme des algorithmes de punchlines pour attirer l’électeur vers des idées extrémistes, certains candidats ont vraiment raté leurs cible, l’électeur jeune et jeunes actifs.

Quant à l’avenir des partis, des recompositions se construisent déjà. Des ténors du PS qui passent chez En Marche, des Républicains qui franchissent la porte de l’extrême droite et d’autres qui appellent à un front de droite! Mais quand la question leur est posée de quelle droite il s’agit! Les écologistes, communistes, le parti socialiste et les autres partis de gauche resteront sans issue s’ils ne se mettent pas dans un moule d’unité; chose très facile à dire qu’à faire: les égos, surdimensionnés parfois, sont de vrais obstacles obstruant toute tentative d’union. C’est d’ailleurs une des raisons de la chute de la gauche graduellement coupée de son électorat des milieux populaires.

 

3- Qu’est-ce qui explique la montée de l’extrême droite en France ?

 

Trois facteurs sont à l’origine de cette montée fulgurante des idées extrêmes dans la société française en général et dans certains partis politiques en particulier. Le premier facteur est lié plutôt aux crises économiques à répétition depuis 2007, ce qui engendre le climat social instable et les replis identitaires que connaît le pays. S’ajoute à cette crise, les attentats qu’a vécu la France. Depuis 2015 les péripéties continuent d’alimenter les phobies anti-musulmans et anti-immigrés. Un autre facteur et non des moindres, l’effet loupe que les médias donnent aux thématiques de l’immigration et de l’insécurité. Ces trois facteurs constituent à eux seuls le “cocktail booster” de la poussée de l’extrême droite. Il faut juste noter qu’un des candidats avait plusieurs émissions dédiées à ses thématiques de prédilections pendant des années, officiant tel un évangeliste aux heures de grande écoute sur plusieurs médias,  avant d’être lancé dans l’arène sans savoir par quelle magie et pour quel dessein!

Les médias, certes contrôlés par quelques familles, mais pas tous ont leur part de responsabilité dans l’avènement de ce scénario dont les aboutissements poseront certainement de vrais dilemmes aux politiques dans les années à venir; soit ils s’occuperont de la situation socio-économique du pays, soit ils s’éterniseront à répondre par des mesurettes qui ne font que présenter au citoyen le mystérieux arbre qui cache la forêt de problèmes socio-économiques que connaît le pays, le cocktail: immigration et insécurité! Il ne suffira plus, hélas, de diaboliser l’autre pour faire des scores ni encore moins de plagier grossièrement l’extrême droite pour espérer gagner les voix des plus vulnérables ou ceux à la marge des premiers de cordée.

Les sujets identitaires ont tellement été martelés lors de la campagne que les vrais sujets furent occultés par les surenchères de petites phrases des spin doctors. Les enjeux écologiques étaient loin du centre des débats, la jeunesse, l’emploi, l’avenir de l’Europe dans un monde en mutation, la place de la France dans un monde qui connaît des bouleversements stratégiques énormes. D’ailleurs Emmanuel Macron l’admet lui-même quand il déclare après ce premier tour, « Je veux apporter des réponses aux défis du quotidien comme le pouvoir d’achat, continuer sur le travail et apporter aussi des réponses dans la durée, le défi écologique, le défi géopolitique qui sont les nôtres et beaucoup d’autres. »

Mis à part Jean-luc Mélenchon qui a essayé de fuir le jeu des petites répliques avec un programme qui touche aussi bien la réforme de la Vème République que le quotidien des Français, les perdants d’aujourd’hui ont été à côté des préoccupations des 18-40 ans; ce qui explique leur ralliement à l’Union Populaire des insoumis. Les autres tranches d’âge ont plus voté pour le président sortant et l’extrême droite.

 

4- Pour qui les immigrés marocains ont-ils voté lors de ces élections ?

 

Premièrement, permettez-moi de rectifier l’expression utilisée dans votre question. Ce ne sont pas voir plus des immigrés pour la quasi totalité de ces électeurs car nés en France et pour certains d’entre eux c’est la troisième voire la quatrième génération. Les immigrés, même s’ils paient bien leurs impôts, n’ont toujours pas ce “privilège” qui devrait être un droit fondamental quelle que soit la situation administrative de la personne. Mais c’est un autre débat avec des lueurs d’espoir qui remontent aux années 80 du siècle dernier. Ils attendront gentiment diront certains!

Cependant, certains, souhaitant cantonner un frange de leurs concitoyens à leurs origines, continuent toujours à les classer péjorativement sciemment et de manière catégorique, à la façons Zemmour, parmi ces « autres » Français, « différents, pas comme nous »!

Concernant leur orientation de vote, pour la plus grosse majorité, Ils ont voté Mélenchon car il était le seul à s’en soucier ou à incarner une vision d’une France désormais plurielle, diverse et cosmopolite d’une part; puis ces électeurs ne sont plus dupes et ont une lecture très lucide du paysage politique français d’autres part. La gauche les a oubliés, allant même jusqu’aux amalgames de mettre tout le monde dans le même sac suite aux attentats de 2015: tout le monde se rappelle des tirades de Manuel Valls! Les tirades de Ciotti, de Sarkozy, et les pains aux chocolats de Jean-François Copé! Les petites phrases sur le Halal! Le communautarisme dont ces citoyens sont accusés, comme si d’autres communautés ne le pratiquaient pas. Quant au Rassemblement Nationale de Madame Le Pen et consorts et Zemmour on n’a même pas besoin de les citer: il faudra plus qu’un volume de la bible pour y inscrire leurs sottises xénophobes!

Sous Macron, les pires des lois, touchant les musulmans, ont été introduites sous couvert du mot « séparatisme ». Les fermetures de lieux de cultes et d’écoles. Il y a de vrais problèmes au sein de la communauté certes, mais ceci ne doit pas constituer un alibi pour sanctionner tout le monde. Les musulmans cherchent l’apaisement, mais les prêcheurs de haine aiment ce climat; c’est le seul écosystème où il peuvent proliférer, malheureusement d’autres partis traditionnels leur emboîtent souvent le pas. Ils auront réalisé, cette fois-ci, que ça ne marche pas à tous les coups. Le vote communautaire deviendra, je pense, une clé qui apaisera les campagnes électorales dans les années à venir. La danse du ventre d’Emmanuel Macron au soir du premier tour est un premier pas allant dans ce sens. Il a ainsi déclaré, pour attirer le vote des musulmans, « Je veux une France qui lutte résolument contre le séparatisme islamiste, mais, par la laïcité, permet à chacun de croire ou ne pas croire, d’exercer son culte et pas une France qui empêche les musulmans ou les juifs de manger comme le prescrit leur religion. Ce n’est pas nous! »

 

5- Macron et Le Pen de Nouveau face-à-face lors du second tour des élections, qui fera la balance selon vous ?

 

Ça va être un vrai casse-tête pour l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron. Les déclarations qu’il fera les prochains jours vont sûrement verser dans le « rassemblement », mais saura-t-il convaincre pour rassembler est la question que tous les analystes se posent. Excellent orateur qu’il est, il aura les arguments pour les uns et pour les autres, mais ce n’est pas pour autant gagné d’avance. La volatilité des électeurs et leur défis face à l’establishment ont beaucoup pesé lors du premier tour et risquent de peser également sur le deuxième malgré les appels à faire barrage de la quasi-totalité des « perdants »! Le politologue et chercheur au Cevipof Bruno Cautrès estime d’ailleurs que les résultats d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon forment une « tripartition » qui est « le nouveau paysage politique en train de s’installer ». Du coup l’équipe de Macron sait d’avance là où elle doit aller « prêcher » religieusement pour convaincre et sur quel terrain il doit “chasser” et pas que chez les chasseurs.  Enfin ce n’est qu’une deuxième mi-temps, les prolongations des législatives auront d’autres surprises pour les analystes les plus aguerris. Tout en souhaitant au pays d’éviter le pire, ce qui sera un vrai cauchemar pour l’ensemble des partis politiques et les citoyens. Ce scénario du 10 avril est vraisemblablement ce qui nous attend pour les législatives également selon Bruno Cautrès, « Ça peut se répliquer aux législatives, qui sont les plus nationales des élections locales. »

L’appel du président sortant aux autres formations politiques vaincus à le rallier va ainsi dans ce sens, « J’appelle tous ceux qui, depuis six ans et jusqu’à ce soir, se sont engagés pour travailler à mes côtés à transcender leurs différences pour se rassembler en un grand mouvement politique d’unité et d’action pour notre pays. »

Dos au mur, la transhumance avait déjà commencé dans certains partis comme je l’avais signalé plus haut. Ce mouvement prendra plus d’ampleur dans les semaines et mois à venir chez les républicains et certains socialistes, sans parler de celles et ceux qui partiront rejoindre l’extrême droite.

 

6- Pourquoi les personnes âgées ont-elles voté aussi massivement pour Macron alors que les jeunes ont voté pour Mélenchon ?

 

Pour répondre à cette question, trois choses méritent d’être dites en préambule. L’action et l’inaction du gouvernement ou des gouvernements successifs sur les vingt dernières années sont pour quelque chose. La réforme des retraites touchera plus les jeunes générations d’aujourd’hui que les personnes plus âgées. La précarité touche et touchera plus les jeunes et les jeunes salariés précaires car peu de mesures sont prises pour y remédier. Lors des ces deux dernières années, impactée par le COVID et la précarité, cette tranche d’âge a beaucoup souffert par manque de mesures la concernant. Et pour finir, les enjeux écologiques ainsi que les questions de l’emploi des jeunes ou la revalorisation des salaires précaires étaient quasiment occultées dans le débat alors que ceci constituent les vrais inquiétudes de ces générations qui ont voté Mélenchon. Les anciens, confortablement installés et même certains qui votent à gauche, ont voté Macron car ils ne souhaitent aucun changement et d’autres pour l’extrême droite pour la même raison reprenant l’argument de comptoir, la France doit rester la France! Sauf que le monde tourne et nous avec.

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