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Enseignement: Une bonne orientation pour lutter contre l’abandon scolaire

Et si l’abandon scolaire n’était finalement qu’une question d’identification? Les enfants, surtout ceux issus de zones économiquement vulnérables, décrocheraient de l’école car ils n’ont pas de modèle auquel s’identifier. C’est la gageure que soutient la fondation Sanady qui vient d’organiser le 18 février dernier la 3e édition de son Forum des métiers et de l’orientation à Casablanca au profit des élèves de première et deuxième année du baccalauréat des centres de la fondation.

L’abandon scolaire causé par le manque de repères

« Souvent, il ne manque pas grand-chose pour assurer l’accrochage et la réussite scolaires: une information clé, une rencontre inspirante ou le témoignage d’hommes et de femmes qui leur ressemblent et qui ont réussi », assure Kacem Bennani-Smirès, président de la fondation Sanady. Pour ce dernier, les faits sont têtus: même les lycéens ayant obtenu d’excellentes notes au bac prennent la décision d’arrêter les études faute de moyens, mais surtout faute de conseils et de foi en leurs chances de réussite.

Un programme bien chargé a donc été concocté pour les 150 élèves présents lors de cette journée qui s’est déroulée à l’École nationale supérieure des Arts et des Métiers (ENSAM) de Casablanca. Au menu, l’intervention en plénière de 3 professionnels qui ont partagé avec les élèves leurs parcours et leur conviction. « Nous avons fait appel cette année au rappeur Masta Flow. Nous avons vu à quel point il était adulé par les jeunes et il a su être une source de motivation pour eux grâce à ses conseils », a indiqué au HuffPost Maroc Kacem Bennani-Smirès.

masta flow sanady
Les conseils des « aînés » pour bien choisir son orientation

Dans la foulée, 5 ateliers-métiers ont également été animés par 20 intervenants professionnels de divers métiers, qui ont interagi avec les élèves. Le but: apporter des éléments de réponses à des questions souvent déterminantes pour le choix d’études supérieures. L’après-midi, quant à elle, était consacrée à une rencontre avec les facultés et écoles supérieures.

Cette année, près de 70 étudiants du supérieur venant de plusieurs villes et de 36 instituts et universités supérieurs (médecine, gestion, aviation, marine, enseignement, beaux-arts, ingénierie, etc.) se sont déplacés bénévolement et se sont organisés en « Foire aux formations et aux écoles » pour donner des informations et des conseils d’aînés sur les avantages de leurs institutions respectives ainsi que sur les difficultés que les nouveaux venus peuvent y rencontrer. À noter que l’édition régionale du Forum de l’orientation et des métiers se tiendra le 4 mars prochain à Agadir.

Entretien avec Kacem Bennani-Smirès, président de la fondation Sanady

HuffPost Maroc: On a toujours pointé du doigt l’inadéquation entre l’offre de formation et les demandes sur le marché de l’emploi au Maroc. N’est-il pas paradoxal de vouloir offrir une bonne orientation aux élèves à l’heure où les entreprises marocaines désavouent ces mêmes formations?

Kacem Bennani-Smirès: Le secteur de l’éducation et de l’enseignement au Maroc souffre en effet de beaucoup de faiblesses, mais le narratif autour de l’école publique est assez pessimiste comme ça. Il faut bien commencer quelque part et arrêter de pointer ce qui va mal pour essayer d’apporter des débuts de réponses. Du côté de la fondation Sanady, le maître mot est ne pas abandonner. Beaucoup d’élèves ont juste besoin de mettre le pied à l’étrier pour pouvoir se lancer. Je vous donne un exemple concret: sur l’année scolaire 2016-2017, nous avons obtenu 0% d’abandon puisque les 112 élèves qui ont suivi des cours de soutiens à la fondation et qui ont passé leur bac ont tous pu être intégrés quelque part après leur épreuve. Et ce, qu’ils aient réussi leur bac ou pas. Certains se sont dirigés vers l’université, vers des écoles privées, d’autres ont choisi des formations professionnelles ou ont redoublé, mais le plus important est qu’il n’y ait eu aucun décrochage scolaire.

Mais quelles opportunités s’offrent à eux après cette orientation? N’est-ce pas finalement juste une manière de déplacer le problème?

Nous ne faisons pas que déplacer le problème. Ce qui est intéressant à noter avec les élèves qu’on accompagne est qu’ils ont des approches de carrière différentes en ce sens qu’elles sont plus pertinentes. Lorsqu’on fournit à un enfant toutes les informations disponibles sur toutes les possibilités qui s’offrent à lui et surtout lorsqu’il a des modèles de réussite auxquels il peut s’identifier, les choix qu’il fait sont souvent judicieux. Certains par exemple se dirigeront vers des formations professionnelles qui sont très demandées sur le marché de l’emploi. Nous avons également remarqué lors du Forum que beaucoup d’élèves étaient très attirés par le domaine de la sécurité.

Le dernier rapport du Conseil supérieur de l’enseignement, de la formation et de la recherche scientifique n’a pas manqué de souligner avec force qu’en plus d’être le centre des inégalités sociales, l’école marocaine les exacerbait. L’orientation scolaire est-elle encore un accélérateur efficace de mobilité sociale?

Oui, elle l’est toujours. Certes il y aura toujours cette problématique des inégalités, mais ce n’est pas la seule dont souffre l’école publique marocaine. Il y a le problème de la langue aussi et du savoir-être, mais on travaille beaucoup au sein de la fondation pour y remédier. Nous veillons toujours par exemple à ne pas dépasser le nombre de 15 élèves par classe pour permettre à chacun de parler et de participer, car nous avons remarqué que les situations dans lesquelles le professeur est le seul à parler ne favorisent pas l’épanouissement de l’enfant. Il ne faut pas oublier également que l’abandon scolaire est un échec qui se répercute sur plusieurs générations. Cela implique que la réussite impacte positivement plusieurs générations aussi et nous avons vécu de magnifiques success-stories qui montrent que l’éducation est toujours un ascenseur social qui fonctionne très bien à condition qu’elle soit bien orientée.

 

 

Pourquoi avoir choisi les villes de Casablanca et Agadir pour l’organisation de ce Forum ?

Ce sont juste les villes où on a le plus d’effectifs et là où on a le plus de possibilités. Contrairement à une idée répandue, le périurbain casablancais est encore plus vulnérable que d’autres villes qui ne sont pas aussi riches que la capitale économique. Il faut dire que si les forums sont organisés uniquement à Casablanca et Agadir, nous sommes présents dans plusieurs autres villes dans le cadre des cours de soutien scolaire. Nous sommes ainsi implantés à Larache, Mohammedia, Khouribga, Marrakech…

Quelles sont globalement les réalisations de la Fondation Sanady sur l’abandon scolaire et quels sont les obstacles auxquels elle est toujours confrontée?

Depuis la création de la fondation en 2009, nous avons mis en place 50 centres de formation qui sont animés par 229 professeurs et 17 animateurs. Cette organisation nous a permis d’accompagner 4.000 élèves, du primaire jusqu’au bac, dont 744 qui ont pu bénéficier du programme d’orientation. Nous avons également dispensé plus de 37.000 heures de cours et nos élèves sont à 72% dans l’enseignement primaire, 18% au collège et 10% au lycée. 61% d’entre eux sont en milieu périurbain et rural et 39% en milieu urbain. En parallèle à la formation et l’orientation, nous organisons divers ateliers au bénéfice des élèves (ateliers de sensibilisation à la sécurité routière, ateliers scientifiques et ateliers de développement personnel). Plus de 200 ateliers ont ainsi pu être organisés.

Je tiens à rappeler que si la fondation Sanady tire l’essentiel de ses revenus des entreprises qui paient la formation aux enfants de leurs ouvriers, nous travaillons avec le public. Quant aux difficultés rencontrées, le plus grand défi réside dans la formation des professeurs. Les enseignants de l’école publique n’ont pas toujours une formation continue et nous sommes obligés de consacrer une partie importante de notre budget pour organiser des séances de formation en leur faveur afin qu’ils puissent former à leur tour les élèves. La question linguistique est également une contrainte à laquelle nous faisons face au quotidien. Les élèves n’ont pas toujours le niveau en français qui leur permette de poursuivre leurs études par la suite.

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