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La crise des centres sociaux évitée de justesse par la bienfaisance (Rapport)

RAPPORT – Constat négatif. Le diagnostic que dresse la Cour des comptes sur les établissements de protection sociale prenant en charge les personnes en situation difficile (personnes âgées, handicapés, enfants abandonnés, femmes et enfants en situation de précarité) dévoile des défaillances à tous les niveaux. Dans un rapport rendu public, ce mardi 8 mai, la Cour des comptes pointe du doigt l’insuffisance des capacités d’accueil, le manque de ressources financières et humaines, mais aussi la qualité des prestations et le respect des normes techniques en matière d’équipements et de locaux.

Des observations émises à l’issue d’une enquête qui a concerné 67 établissements ayant fait l’objet de visites sur place effectuées par des magistrats des Cours régionales des comptes. Le rapport se base aussi sur les réponses au questionnaire adressé à ces établissements. Sur un total des 246 établissements que compte le Maroc à fin décembre 2016 et disposant d’autorisation, la Cour des comptes a reçu une réponse de 130 (53%). 17 autres réponses parvenues à cette cour proviennent, elles, d’établissements non autorisés, indique le rapport.

Des capacités d’accueil dépassées de 800%

A Casablanca, 34 établissements sur les 147 ayant répondu au questionnaire admettent exercer leurs activités avec un nombre de bénéficiaires dépassant leurs capacités d’accueil. Des dépassements allant de 6% à 800%, souligne le rapport. Et la demande croissante risque d’amplifier la situation, car les listes d’attentes se rallongent, précise le rapport, notamment pour 5 établissements prenant en charge des personnes à besoins spécifiques.

Face à cette ampleur, l’insuffisance des ressources financières n’arrange pas la situation. Le soutien public, selon ce rapport, apporte seulement 37% des ressources des établissements de protection sociale (2012-2016). Et de constater qu’après une phase de stagnation durant les trois premières années, ce soutien est passé de 58 millions de dirhams en 2014 à 93 millions de dirhams en 2016. Une aide qui provient de l’Etat, de l’Entraide nationale et d’autres établissements publics et des collectivités territoriales.

Toutefois, ajoute la Cour des comptes, si l’Entraide nationale est le premier pourvoyeur public de subventions au profit des établissements de protection sociale, sa contribution ne dépasse pas 12,45% de leurs ressources. Et pour cause, le rapport rappelle que les ressources financières de l’Entraide nationale ont subi des réductions: la part lui revenant dans le produit du pari mutuel urbain a baissé de 4,10% à 2,10% sur l’ensemble des montants perçus. Et d’ajouter l’abrogation sans compensation de la taxe parafiscale sur les jeux de hasard dans les casinos dont le produit lui était affecté. Reste le produit lui revenant de la surtaxe d’abattage qui est, précise le rapport, est marqué par son caractère faible et irrégulier.

Des contributions publiques insuffisantes

Le montant global des contributions provenant des collectivités territoriales est, lui, passé de 14 millions de dirhams en 2012 à 18 millions de dirhams en 2013 avant de connaître une baisse en 2016: 16 millions de dirhams. Au cours des deux années suivantes, cette contribution s’est stabilisée à 24 millions de dirhams. Cependant, fait remarquer la Cour des comptes, ces contributions ne couvrent que près de 10% seulement des ressources globales des établissements de protection sociale.

C’est la bienfaisance qui permet finalement à ces centres sociaux de maintenir leurs activités. Le rapport souligne que la bienfaisance représente la ressource principale des établissements de protection sociale en couvrant 51% de leurs ressources. Et ce type de contributions financières a connu une progression soutenue durant la période 2012-2016. Cet accroissement est évalué à près de 30% en passant de 85 millions de dirhams en 2012 à 111 millions de dirhams en 2016.

Dons, aides financières ou en nature… ces contributions proviennent, indique la Cour des comptes, d’initiatives privées, de bienfaiteurs, de participations et de souscriptions des fondateurs et membres d’associations, ainsi que de dons étrangers. Et de souligner que “faute de reconnaissance de la qualité d’utilité publique en leur faveur, les associations gestionnaires des établissements de protection sociale se trouvent privées d’un moyen important pouvant mobiliser davantage de ressources de la bienfaisance”.

Faible autonomie

Situation financière dérisoire, la Cour des comptes s’étale longuement sur le problème dans son rapport précisant également que les ressources propres de ces établissements de protection sociale ne représentent que 11,8% des ressources totales. Sur la période 2012-2016, ces ressources ont totalisé 114,09 millions de dirhams. Celles-ci ont diminué en passant de 23,02 millions de dirhams en 2012 à 22,11 millions de dirhams en 2016. Cette situation, explique la Cour des comptes, “met en évidence la faible autonomie financière des établissements de protection sociale et le besoin d’œuvrer en vue de développer leurs ressources propres”.

Et de préciser que 29 % seulement des associations gérant les établissements de protection sociale sont propriétaires des immeubles abritant les locaux de ces institutions. Ce qui, pour la Cour des compte, laisse entrevoir de nombreux risques pour la stabilité et la continuité des prestations. Cette situation “ne permet pas de saisir des opportunités d’investissement et la réalisation de projets générateurs de revenus susceptibles de renforcer leurs ressources propres”, affirme le rapport mettant en garde contre l’aggravation du déficit de la situation financière sur la période 2012-2016. Ce déficit s’est ainsi accru de 40,4% en passant de 6,98 millions de dirhams en 2012 à 9,8 millions de dirhams en 2016.

La crise financière que vivent ces établissements sociaux n’est pas sans incidence sur leur gestion et leurs prestations. Ainsi le rapport relève que les effectifs par établissement varient entre 3 et 95 agents. Difficile de respecter les critères imposés par la loi et les cahiers de charges si les cadres dans certaines spécialités (psychologues, psychiatres, kinésithérapeutes, orthophonistes…) manquent à l’appel. Le personnel en charge de missions médicales ou d’assistance sociale ne dépasse pas, respectivement, 7% et 5% du total des effectifs, selon le rapport.

L’enquête relève aussi que “23 % de ces établissements ne disposent pas de directeur et 17% des directeurs ne remplissent pas les conditions légales fixant le niveau de diplôme exigé”. La grande majorité des employés, soit 67%, ne sont pas qualifiés, car leur niveau scolaire ne dépasse pas le primaire. 1% du personnel uniquement dispose d’un niveau universitaire. Quant au salaire moyen, il s’élève à 2.833,00 dirhams. Mais d’après la Cour des comptes, 64% du personnel perçoivent moins que le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) et 29% parmi cette population ne bénéficient d’aucune couverture sociale.

Gestion ingérable

Pour ce qui est de la gestion, 9% des établissements de protection sociale ne disposent pas d’un comité en charge de cette mission. Pourtant, c’est à lui d’établir un plan d’action et d’en superviser l’exécution, d’approuver le budget de l’établissement et de dresser un rapport semestriel et annuel de gestion. Le rapport qualifie cette insuffisance de “lacune importante dans la gouvernance des établissements concernés”. Entre autres conséquences: un défaut d’enregistrement et de suivi des dons en nature. Ce que le rapport a constaté au niveau de près de 20% des établissements de protection sociale. “Cette situation ne permet pas d’asseoir une bonne évaluation des dons en nature, notamment des dons alimentaires et de donner une image fidèle de la situation des établissement”.

S’ajoutent à cela que 31% des établissements ne souscrivent pas à des assurances pour couvrir les risques encourus par leurs bénéficiaires. Les locaux, eux, laissent aussi à désirer. La Cour des comptes précise que sa visite a permis de constater que les locaux de 42% des établissements ne remplissent pas toujours les conditions prévues par le cahier de charges type. Les travaux d’aménagement requis s’avèrent impossibles pour des raisons financières.

Rétablir cette situation nécessite, pour la Cour des comptes, de mettre en place un certain nombre de recommandations.  Entre autres: un cadre juridique plus adapté et un financement plus adéquat au besoin, notamment en élargissant les incitations fiscales pour des aides financières et en nature aux établissements de protection sociale. La Cour des comptes propose, par ailleurs, la mise en place d’un contrat-programme entre l’Etat et l’Entraide nationale pour garantir à celle-ci des ressources stables lui permettant d’aider régulièrement les établissements sociaux et assurer leur encadrement et contrôle.

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