Société

Fnideq : Les experts décryptent l’afflux de jeunes vers Ceuta comme symptôme d’un désespoir croissant

Le week-end dernier, la ville de Fnideq, a été le théâtre d’une mobilisation inédite. Ses rues ont vu converger des centaines de jeunes et d’enfants venus des quatre coins du Maroc, animés par le désir ardent de franchir la frontière vers l’autre rive.

Parmi les aspects les plus remarquables de cette agitation inhabituelle dans une ville habituellement tranquille, on observe la présence accrue de mineurs et d’enfants prêts à se lancer dans l’aventure migratoire. Cette réalité suscite de profondes interrogations sur les motivations et les raisons qui poussent ces jeunes à risquer leur vie dans des conditions aussi périlleuses.

Des experts et militants des droits humains, interrogés par « Al Oamk fr », décrivent ces scènes comme le reflet d’un état de « frustration et de désespoir » au sein d’une frange significative de la société marocaine. Ils soulignent que cette situation met en exergue les pressions sociales et économiques qui poussent les mineurs et les jeunes à chercher des opportunités au-delà de leurs frontières, même au prix de leur vie.

Face à cette tentative de « fuite collective », les autorités marocaines ont renforcé les mesures de sécurité. Elles ont intensifié leur présence dans la région, déployé des forces supplémentaires le long de la frontière, et accentué les opérations de surveillance. De nombreuses personnes ont également été renvoyées vers leurs villes d’origine dans un effort pour décourager les tentatives de passage, selon les rapports locaux.

Les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, situées sur la côte nord du Maroc, représentent la seule frontière terrestre de l’Union européenne en Afrique, et sont régulièrement visées par des tentatives d’intrusion migratoire. Les migrants arrivent dans ces zones par divers moyens : nage le long de la côte, escalade des clôtures, ou dissimulation dans des véhicules.

Mohamed Ben Aissa, président de l’Observatoire du Nord des droits humains, explique que bien que le nombre de personnes projetant de migrer se chiffre par milliers dans différentes villes marocaines, celles qui ont réussi à atteindre Fnideq sont bien moins nombreuses. Selon lui, les forces de sécurité ont empêché de nombreux individus, notamment des mineurs âgés de 9 à 16 ans, d’atteindre ces villes grâce à une surveillance accrue aux barrages d’entrée.

Il précise que la majorité des personnes actuellement présentes à Fnideq sont des habitants de la ville ou de villes voisines ayant réussi à franchir les barrages. Ben Aissa attire également l’attention sur le rôle prépondérant des réseaux sociaux dans la mobilisation de milliers de personnes et la coordination de cette tentative, soulignant l’implication de parties étrangères par le biais de pages et de comptes incitant les jeunes, comme en témoigne la langue et la gestion de ces contenus.

Les autorités de sécurité ont tenté de contrer les publications liées à l’immigration illégale, arrêtant environ 60 personnes, dont des mineurs, soupçonnées de fabriquer et diffuser de fausses informations sur les plateformes sociales. Toutefois, Bennis indique que cette incitation n’est pas la seule cause de cette campagne, citant également des publications sur la pauvreté et le désir d’améliorer le niveau de vie.

Il souligne que ces plateformes sont exploitées par des réseaux de traite des êtres humains pour attirer de nouveaux clients, et qu’elles comportent de nombreux groupes et comptes dédiés à la coordination et à l’échange d’informations sur les itinéraires migratoires et les méthodes pour échapper aux autorités marocaines et espagnoles.

D’après les médias locaux, les autorités ont renvoyé 39 personnes, principalement des citoyens algériens et tunisiens, trouvées illégalement en ville et suspectées de vouloir entrer à Ceuta par des moyens illégaux.

Le Maroc demeure un passage traditionnel pour l’immigration irrégulière vers l’Espagne, que ce soit pour les personnes venant des pays d’Afrique subsaharienne ou pour les jeunes Marocains aspirant à une vie meilleure en Europe. En août dernier, les autorités marocaines ont empêché 14 648 migrants de pénétrer illégalement à Ceuta et Melilla, par la nage ou l’escalade des clôtures frontalières, selon le ministère de l’Intérieur du Maroc. Elles ont également révélé que 32 % des tentatives d’intrusion illégales avortées cette année visaient ces deux enclaves au cours du mois dernier.

Sabri Lhou, expert en droit international de la migration, affirme que les scènes observées dans les villes du nord révèlent un sentiment croissant parmi les jeunes et les adolescents que l’immigration irrégulière est « la solution ». Il considère que ce sentiment et cette décision témoignent d’un « jugement sur les politiques gouvernementales successives », mettant en lumière le désespoir et la frustration des jeunes et des mineurs.

L’expert marocain ajoute que ces jeunes ne voient plus d’avenir dans leur pays et sont prêts à prendre des risques pour réaliser ce qu’ils perçoivent comme une solution. Un sondage récent réalisé par le Centre de Baromètre arabe révèle que 35 % des Marocains expriment le désir d’émigrer, et que 53 % d’entre eux ne s’opposent pas à l’idée de migrer sans papiers.

En outre, Ahmed Assid, écrivain et chercheur amazigh, a déclaré que « la manière spectaculaire dont la propagande pour l’émigration collective a été orchestrée semble être un scénario élaboré par un groupe déterminé ; il est inconcevable que cela soit purement spontané. »

Assid estime que « cette campagne rappelle les mouvements de boycott commercial qui se sont révélés être le fruit d’une manipulation politique. » Il ajoute : « L’émigration n’est ni une aventure exaltante à promouvoir ni un simple défi ; c’est un risque mortel pour la vie de centaines de jeunes. »

Il souligne avec étonnement : « Il est troublant de voir des jeunes, pourtant engagés dans des professions libérales ou des emplois stables, abandonner tout pour tenter l’émigration clandestine. J’ai même connaissance d’une famille proche de chez moi ayant rassemblé 120 000 dirhams, soit 12 millions de centimes, pour que l’un des leurs devienne un migrant clandestin poursuivi hors de son pays. Ce montant aurait pu financer un projet commercial viable. »

« Il est erroné de penser que tous les jeunes qui se jettent à la mer n’ont aucune opportunité d’emploi dans leur pays. À mon avis, il est essentiel de mener une campagne de sensibilisation et que le gouvernement tienne ses engagements en créant un maximum d’emplois et d’opportunités pour ces jeunes. » à conclu Ahmed Assid.

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