Le Grand Maghreb: L’opportunité géoéconomique d’unir les forces de l’Afrique du Nord

Rabat – Alger – Tunis – Tripoli – Nouakchott. Est-ce unaxe géographique oublié par les chaînes de valeur mondiales, sabordé par des forces obscures ou tout bêtement embourbé par des élites obnubilées par leurs propres intérêts? Pourtant doté d’un potentiel économique et stratégique sans équivalent cet ensemble naturel uni par la géographie, la langue et la culture commune manque de stratégie commune pour le bien et la prospérité de ses habitants. Le discours du Trône prononcé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le 29 juillet 2025, en appelant de nouveau à tendre la main à l’Algérie et à raviver le projet maghrébin, réveille une idée longtemps ensevelie sous les tensions politiques : celle d’un Maghreb économiquement intégré, capable de s’ériger en hub industriel, logistique et énergétique entre l’Europe, l’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient.
Un marché naturel fragmenté
Avec plus de 100 millions d’habitants, une façade méditerranéenne de 2 800 km et atlantique de plus de 4 000 klm, des gisements d’hydrocarbures en Algérie et Libye, un leadership industriel émergent au Maroc, une diaspora active et instruite établis en Europe, les Amériques et le Moyen Orient, le Maghreb détient tous les ingrédients d’un marché régional majeur. Mais il reste économiquement l’un des moins intégrés du monde, avec moins de 5 % d’échanges commerciaux intra-maghrébins. Un paradoxe qui, dans le contexte des reconfigurations post-Covid, de la crise énergétique, et des tensions géopolitiques, devient une aberration stratégique.
Connectivité : une infrastructure transfrontalière à bâtir
Routes, rails, ports, hubs aériens : l’intégration maghrébine commence par la logistique. Imagine-t-on une ligne ferroviaire à grande vitesse qui relie Casablanca à Tunis via Alger, facilitant le transport de marchandises, de talents et de touristes ? Ou un réseau de ferries maghrébins connectant les ports de Tanger Med, Skikda, Tripoli, Gabès et Nouakchott, en coordination avec les grands hubs européens comme Barcelone, Gênes et Marseille ?
Un tel système logistique intégré réduirait les coûts de transaction, stimulerait l’investissement régional privé, et consoliderait les zones industrielles conjointes, à l’image des écosystèmes euro-méditerranéens en Europe centrale. Le Maghreb deviendrait le pont terrestre et maritime entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest, un équivalent méditerranéen de l’Asie du Sud-Est.
Industrie et innovation : le pouvoir de la complémentarité
Les économies maghrébines, loin d’être concurrentes, sont structurellement complémentaires. Le Maroc est désormais un pôle reconnu dans les industries automobile, aéronautique et des énergies renouvelables et les services offshores. L’Algérie possède un savoir-faire pétrochimique, des ressources naturelles colossales, et un tissu industriel à relancer. La Tunisie, tout comme le Maroc, dispose d’un vivier de développeurs informatiques, d’ingénieurs biomédicaux et d’une tradition d’exportation. La Libye, une fois stabilisée, offre des ressources énergétiques et un besoin massif de reconstruction; un marché qui pourrait relancer les grands du BTP du Maghreb. La Mauritanie, enfin, dispose d’un potentiel dans le minier et les énergies vertes et l’économie bleue.
Une stratégie d’industrialisation régionale intégrée permettrait de spécialiser chaque pays dans des chaînes de valeur complémentaires : filière du véhicule électrique, aéronautique légère, hydrogène vert, production de puces solaires, agroalimentaire bio-exportable, etc. Cela nécessite des zones économiques spéciales conjointes, un cadre juridique régional harmonisé, et surtout une vision politique fédératrice.
Diaspora maghrébine : le levier oublié et actionable à la fois
Avec plus de 10 millions de Maghrébins installés en Europe, en Amérique du Nord et dans le Golfe, la diaspora maghrébine constitue une ressource stratégique sous-exploitée. Ingénieurs chez Airbus, chercheurs en neurosciences, chefs de projet en IA, entrepreneurs du digital, compétences dans la finance internationale: la gérance maghrébine de demain est prête.
Un programme de retour des cerveaux régionalisé (Maghreb Tech Return) pourrait être lancé, avec des incitations fiscales, des financements croisés, et des plateformes de matching entre besoins industriels et expertises de la diaspora. Une Banque Maghrébine pour l’Innovation pourrait jouer le rôle de catalyseur, en misant sur les projets portés par des binationaux et des talents issus de la région.
L’énergie comme moteur : gaz, renouvelables, hydrogène
Le triangle énergétique entre le gaz algérien et libyen, les capacités solaires marocaines et mauritaniennes, et l’hydrogène vert en co-développement avec l’Europe, ouvre la voie à une alliance énergétique maghrébine. Ensemble, ces pays peuvent devenir un fournisseur-clé de l’Europe en transition énergétique, tout en assurant leur propre sécurité énergétique.
Un réseau électrique régional, une interconnexion des gazoducs, et une politique commune de l’hydrogène (en lien avec les corridors verts européens comme H2Med), permettraient de renforcer la souveraineté énergétiquetout en attirant les investissements étrangers directs.
Une vision, un cadre : l’Union du Grand MaghrebUni 2.0
L’UMA, créée en 1989, n’a jamais dépassé le stade symbolique. Le discours royal offre l’opportunité d’en faire une plateforme opérationnelle, économique et technologique. Le Grand Maghreb Uni 2.0 pourrait reposer sur des agences techniques (logistique, énergie, innovation), des cadres de concertation multisectoriels, et une cour régionale de commerce et d’investissement. Pas nécessairement une union politique, mais un espace économique intégré, à la manière de l’ASEAN ou du Mercosur.
Le Maghreb, dernier grand marché émergeant à conquérir
Dans un monde multipolaire, où les blocs régionaux reprennent le pas sur la mondialisation pure, le Maghreb ne peut plus se permettre de rester fragmenté. Le moment est stratégique, les outils existent, la volonté politique se dessine et tous les freins doivent se desserrer. Si les élites osent dépasser les logiques de méfiance réciproque et misent sur la convergence, le Maghreb peut redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : une passerelle entre les mondes, une force au service de son peuple et de la planète.
Laisser un commentaire