Le Maroc est résolument engagé dans un processus stratégique de réforme de sa Moudawana (Code de la Famille), incarnant la volonté politique suprême de consolider la justice et l’équité au sein de la famille marocaine. C’est ce qu’a affirmé le Ministre de la Justice, M. Abdellatif Ouahbi, lors de l’ouverture d’une conférence internationale sur « Le système du ‘Kadd wa Assaâya’ : approches juridiques et historiques et expériences comparées du monde arabe ».
Une réforme stratégique pour l’équité familiale
M. Ouahbi a souligné que cette réforme reflète l’engagement de l’État, sous la direction de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, à actualiser les lois sociales face aux mutations sociétales, tout en respectant les constantes religieuses et constitutionnelles. Il a précisé que le débat actuel sur le « Kadd wa Assaâya » (rémunération du travail et des efforts non salariés du conjoint au sein du foyer) n’est pas un simple différend doctrinal, mais un choix stratégique audacieux de l’État marocain pour instaurer la justice et l’équité au sein de la famille.
Le Ministre a affirmé que le « Kadd wa Assaâya » n’est pas une « demande soudaine », mais le fruit d’une longue évolution intellectuelle et sociale, défendue par les jurisconsultes, juges et défenseurs des droits humains au Maroc. Il a noté que ce concept s’est appuyé sur la coutume jurisprudentielle et le rite malékite, qui harmonise les textes sacrés et les réalités sociales.
M. Ouahbi a jugé qu’il était temps de passer d’une jurisprudence limitée à une reconnaissance législative explicite de la contribution de la femme au patrimoine familial, qu’elle provienne de la gestion du foyer, de l’éducation des enfants ou de sa participation directe à la production. Il a insisté sur le fait que la femme marocaine, assumant des charges multiples, mérite une pleine reconnaissance légale et sociétale de son rôle productif, estimant que sa contribution au sein de la famille est tout aussi essentielle que le travail rémunéré à l’extérieur.
Le Ministre a également précisé que cette réforme est en accord avec les fondements islamiques du Royaume, puisant dans les objectifs de la Charia islamique en matière de justice et de bonne cohabitation. Elle s’aligne aussi sur les références internationales des droits de l’homme auxquelles le Maroc a adhéré volontairement. « L’audace politique que nous manifestons aujourd’hui n’est pas une déviation par rapport à la référence religieuse, mais une véritable incarnation de son esprit et de ses finalités en matière de justice et de dignité », a-t-il déclaré.
Soulignant la dimension internationale de la conférence, M. Ouahbi a insisté sur l’importance d’échanger les expériences avec des experts et juristes d’autres pays arabes, car l’équité familiale est une cause qui concerne toutes les sociétés arabes. Il a conclu en réaffirmant l’engagement du Ministère de la Justice à accompagner ce chantier avec ouverture et responsabilité, en coordination avec les institutions nationales, pour élaborer des textes législatifs modernes, justes, équilibrés et réalistes, reflétant l’ambition marocaine d’une famille unie.
Le « Kadd wa Assaâya » : Un principe historique réactivé
M. Hicham Blaoui, Procureur Général du Roi près la Cour de Cassation et Président du Ministère Public, a affirmé que le « Kadd wa Assaâya » a toujours été une solution jurisprudentielle des oulémas et des juges pour répondre aux enjeux sociétaux, démontrant une compréhension profonde des objectifs de la Charia islamique et établissant une base d’équité et de justice pour la contribution des femmes au patrimoine familial, notamment en milieu rural.
Lors de la conférence, M. Blaoui a souligné que ce concept, déjà présent dans la jurisprudence et la pratique doctrinale marocaine (notamment dans le Souss et chez les tribus Ghomara, avec des fatwas comme celle d’Ibn Ardoun), est crucial pour reconnaître les droits des femmes au sein de la famille marocaine. Il a noté que la justice marocaine a adopté ces pratiques coutumières positives, les transformant en une base juridique pour le partage des biens acquis pendant le mariage en fonction des efforts de chacun.
M. Blaoui a insisté sur la conformité de cette évolution judiciaire avec le droit international des droits de l’homme et sur le dynamisme de la jurisprudence marocaine, capable de s’adapter aux transformations sociétales. Ce rôle est d’autant plus pertinent que la femme marocaine joue un rôle croissant dans la vie économique et sociale, exigeant un renforcement des approches d’égalité et de parité au sein de la famille, conformément à l’article 32 de la Constitution. Il a salué le rôle central de Sa Majesté le Roi Mohammed VI dans la promotion de la femme marocaine, citant le discours Royal de 2022 qui a souligné la nécessité de la pleine participation de la femme au développement, non pas comme un privilège, mais comme un droit légitime.
Al-Azhar salue l’initiative marocaine pour l’équité
Al-Azhar Al-Sharif, par la voix du Dr. Hassan Salah Al-Saghir, Secrétaire Général Adjoint pour les Affaires Scientifiques et la Recherche, a salué l’initiative marocaine de légiférer le système du « Kadd wa Assaâya » dans la Moudawana. Al-Azhar considère cette démarche comme une avancée jurisprudentielle et sociale, inspirée par les juristes malékites marocains, qui renforce l’équité financière entre les conjoints à la lumière des réalités socio-économiques contemporaines.
Le Dr. Al-Saghir a affirmé que le Maroc a été un précurseur historique et contemporain dans l’adoption de ce principe, reconnaissant ainsi les droits de tous les membres de la famille qui contribuent à la richesse familiale par le travail ou l’effort. Il a évoqué des situations similaires en Égypte, appelant à légiférer ces contributions pour préserver les droits des femmes travailleuses et renforcer la justice familiale.
Il a également rappelé l’appel de Grand Imam d’Al-Azhar, Dr. Ahmed Al-Tayeb, à faire revivre la jurisprudence du « Kadd wa Assaâya », que Al-Azhar considère comme un droit légitime pour quiconque contribue au patrimoine familial.
Cependant, Al-Azhar a mis en garde contre la transformation des relations conjugales en transactions purement commerciales, insistant sur la nécessité d’une formulation législative flexible et précise, respectant les spécificités culturelles et sociales. L’équité des femmes, a-t-il conclu, doit être intégrée dans une vision globale qui respecte les valeurs et la dimension spirituelle, fondement de l’équilibre sociétal.