La marche organisée récemment par les habitants de la commune Ait Boukmaz en direction de la province de Azilal nous interpelle sérieusement et interroge la conscience des différents gouvernements qui se sont succédé au cours des dernières années. Il faut au préalable saluer le courage patriotique de ces habitants qui ont marché pendant des heures sous une chaleur étouffante, saluer leur détermination à soumettre leurs revendications légitimes à l’autorité représentant l’Etat après avoir fait toutes les démarches localement sans aboutir à des résultats concrets. Ce faisant, ces marcheurs pour la dignité, de tous âges, ont donné une leçon de patriotisme à inscrire dans le registre de la Nation.
Il faut aussi saluer le caractère pacifique de cette marche qui s’est déroulée sans incidents. Des citoyens disciplinés qui n’ont pas besoin d’encadrement. Des citoyens mûrs qui savent parfaitement ce qu’ils demandent : des conditions minimales pour une vie décente, des besoins basiques et élémentaires d’une vie humaine au XXIème siècle.
Cependant, force est de remarquer que cette initiative citoyenne n’est ni la première, ni la dernière. D’ores et déjà, d’autres marches ont eu lieu toujours dans la même province. Pourquoi justement Azilal ? la réponse est simple. C’est une province située en montagne et fait partie des provinces les plus pauvres du Royaume. Elle constitue un laboratoire de lutte contre la pauvreté et la marginalisation. C’est la province où le Ramed a été testé avant de le généraliser à l’ensemble du pays.
Des promesses sans lendemain.
On ne serait pas arrivé là, si les différents gouvernements se sont acquittés de leur responsabilité en mettant en œuvre leurs promesses électorales et leurs programmes respectifs. Bien sûr, le gouvernement actuel assume plus que les précédents la responsabilité de cette défaillance pour une raison simple : il a inscrit dans son programme de réduire la pauvreté et les inégalités territoriales.
Il faut rappeler qu’on a créé à cet effet plusieurs fonds avec des montants consistants et lancé plusieurs politiques au profit des zones rurales et montagnardes. Pour ne parler que du Fonds de développement rural et des zones de montagne qui a été créé en 1994, il n’a démarré effectivement qu’en 2017 en le dotant de 50 Milliards DH. Sa gestion fut confiée auMinistre de l’Agriculture de l’époque. Sans revenir aux péripéties et aux polémiques qui ont accompagné la création et la gestion de ce Fonds, force est de constater que les résultats obtenus sur le terrain ne sont pas probants. Aucune évaluation à notre connaissance n’a eu lieu. Ce qui est anormal. Le parlement, dont parmi ses prérogatives l’évaluation des politiques publiques, n’a pas fait non plus son travail. Et combien même, il aurait aimé le faire, disposerait-il des compétences et du savoir -faire nécessaire en la matière ? C’est une autre paire de manche.
Aussi, il convient de souligner le rôle néfaste pour la paysannerie petite et moyenne du plan Maroc Vert et du plan Green Génération qui lui a succédé. Ces plans, ça été dit et redit, ont donné la priorité à la grande agriculture, celle qui concerne quelques centaines des gros exploitants au détriment de l’agriculture solidaire. Grosso modo, le secteur agro-exportateur qui a épuisé nos ressources hydrauliques a bénéficié de 80% de l’investissement public. Par contre,l’agriculture solidaire qui intéresse l’écrasante majorité des ruraux et approvisionne le marché local en biens alimentaires ne draine que 20% de l’investissement de l’Etat. C’est injuste !
Peu de moyens, beaucoup de communes.
Par ailleurs, le Maroc a adopté une politique de décentralisation et de déconcentration administrative. Les 12 régions bénéficient de l’affectation d’une part de l’Impôt sur les Sociétés et de l’impôt sur le revenu. Cette part est passée progressivement de 1% à 5%. Les régions contribuent au financement dudit Fonds de développement rural à hauteur de 40%. De même, les communes bénéficient du transfert de 30% de la TVA, porté en 2025 à 32%. Cependant, pour les communes rurales, elles ne disposent pratiquement d’aucune ressource propre à l’exception de leur part de la TVA dont une bonne partie est affectée au fonctionnement. En fin de compte, ces communes, notamment celles situées dans les zones montagnardes, demeurent à la merci de l’administration. Bien sûr, il faut noter également la mauvaise gestion de ces collectivités par certains élus sans scrupule. Ils ne sont pas la majorité fort heureusement.
D’aucuns incriminent les Présidents des communes. C’est un jugement hâtif qui ne prend pas en considération tous les paramètres. Une analyse objective suppose que l’on traite cas par cas. Dans tout groupe, il y a des bons et des méchants. On trouve des gens honnêtes et des gens malhonnêtes. Certes, on assiste à des cas de mauvaise gestion et de lapidation des fonds publics. Mais en toute objectivité, ce n’est pas la règle. Il faut rendre hommage à certains présidents de commune, toutes tendances politiques confondues, qui se battent et donnent le meilleur d’eux-mêmes pour être à la hauteur des attentes des citoyens. Dans le même temps, il faut dénoncer avec force les pratiques de certains élus qui usent et abusent de leur fonction et qui se servent (de l’argent public) au lieu de servir le citoyen.
Que faire ?
Le Maroc connait de graves inégalités territoriales. Celles-ci sautent à l’œil. Nous disposons de la carte nationale de la pauvreté, de la distribution des richesses entre régions et localités, entre les catégories sociales. Les solutions existent. Il nous faut juste la volonté politique pour passer à l’action. Du gouvernement actuel, on ne peut pas s’attendre au miracle. Il est trop occupé par ses propres intérêts et ceux des classes privilégiées.
Il faut reconnaitre que SM le Roi a tiré la sonnette d’alarme en considérant que le modèle de développement en cours a atteint ses limites. Un Nouveau Modèle de Développement a été élaboré d’une façon participative et consensuelle qui trace le cap pour 2035 et fixe une série d’objectifs à atteindre avec des moyens à mobiliser. Malheureusement, le gouvernement l’a mis dans les tiroirs. Le changement s’impose plus que jamais, en commençant par la consolidation du processus démocratique pour assurer une meilleure représentativité et permettre aux forces vives et aux gens honnêtes d’accéder aux postes de responsabilité au niveau local, régional et national. Il est temps de barrer la route aux forces de l’argent sale et d’assainir le champ politique pour concilier le citoyen avec la politique.
On ne le dira jamais assez, pas de développement sans faire bénéficier l’ensemble de la population des fruits de la croissance. Pour ce faire, il faut mettre à plat les politiques publiques et procéder à un réel toilettage. La décentralisation et la déconcentration ne sont pas de vains mots. Elles doivent se traduire par des actes et des chiffres. Au cœur de cette transformation, il y a la politique fiscale qui doit jouer son rôle redistributeur.
Le Monde rural, en particulier les zones de montagne, mérite plus d’attention et nécessite plus de moyens. Ce qui passe par l’exploitation du potentiel dont il dispose. Il s’agit plus concrètement du développement du tourisme durable, de la valorisation des produits du terroir, du développement de l’économie sociale et solidaire notamment l’artisanat. La population rurale n’a pas besoin d’assistanat, mais de conditions favorables pour faire valoir son savoir-faire et sa capacité créative.