Entre art et miroir social : lecture du phénomène ElGrandeToto Regard d’un jeune Marocain

Dans la scène artistique marocaine contemporaine, le nom d’ElGrandeToto se démarque non seulement en tant que rappeur, mais en tant que phénomène culturel et social, exprimant avec fracas et contradictions la condition d’une génération entière. Cet homme, qui a tracé son chemin des quartiers populaires jusqu’aux scènes internationales, n’est pas qu’une voix musicale. Il est devenu un miroir brutal parfois choquant d’une société en crise, où les valeurs, les intérêts, la tradition et la rébellion, la religion et la laïcité, l’ambition et la désillusion s’entrechoquent.
On ne peut parler d’ElGrandeToto sans parler du contexte qui l’a vu naître. Il est le fils de cette terre, certes, mais aussi celui d’une époque différente : celle des réseaux sociaux, de la culture de l’image, de la consommation rapide, et de l’ouverture massive sur le modèle occidental. Dans ce cadre, ses chansons — à travers leur langage cru et leurs sujets controversés — deviennent une forme de cri contre le silence collectif, contre une société qui préfère embellir plutôt qu’affronter.
Certains l’accusent de corrompre le goût du public, d’encourager la déviance, de glorifier la drogue et la superficialité. Et si ces critiques s’appuient sur des éléments réels dans sa production artistique, elles passent à côté d’une vérité plus profonde : ElGrandeToto ne fabrique pas la réalité, il la met à nu. Ce qui dérange dans ses paroles, ce n’est pas tant la vulgarité, mais qu’elle appartienne à un univers que nous vivons tous, mais refusons d’admettre.
Pour autant, l’artiste ne peut être totalement dédouané de sa responsabilité morale. Lorsqu’une voix devient entendue, son influence devient décuplée. Et l’influence ne justifie pas l’imprudence. Dans une société comme la nôtre, où le fossé entre les générations s’élargit, et où les mots peuvent provoquer un choc culturel, il est essentiel que l’artiste soit conscient que son art peut être un remède pour certains, mais un poison pour d’autres.
Le phénomène ElGrandeToto, au fond, ne parle pas d’un seul homme, mais d’une génération tout entière qui cherche son reflet dans un miroir brisé. Une jeunesse qui rêve sans avoir confiance, qui se rebelle parce qu’elle ne trouve personne pour la comprendre, qui crie parce que sa voix a été longtemps étouffée. Attaquer ElGrandeToto seul, c’est faire preuve de superficialité. Le glorifier aveuglément, c’est fuir une réalité dérangeante.
Le débat autour de lui devrait être une occasion de poser une question plus large : qu’est-ce qui fait que ce type d’art résonne autant chez les jeunes ? Et que nous dit cette résonance sur notre société ? Sommes-nous face à un problème d’artiste, ou devant un miroir qui nous renvoie un visage que nous refusons de voir ?
Au bout du compte, il n’est ni un prophète ni un démon. Il est simplement une voix de cette époque. Une voix que nous devons écouter, non pas pour la croire aveuglément, mais pour comprendre, à travers elle, ce que nous n’osons plus dire.
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