Depuis plusieurs semaines, les réseaux sociaux regorgent de témoignages affirmant que les Marocains résidant à l’étranger (MRE) ne sont pas revenus au pays cet été « comme d’habitude ». Sur TikTok, Facebook, YouTube et WhatsApp, on relaie des vidéos et des messages parfois viraux montrant des plages vides, des maisons de vacances désertées ou encore des commerçants locaux déplorant une « saison morte ». Le bouche-à-oreille enfonce le clou : la vie est devenue trop chère, les billets d’avion et de ferry sont hors de prix, les Marocains de l’étranger auraient préféré poser leurs valises en Espagne ou au Portugal, plutôt que dans leur pays d’origine.
Si cette perception est omniprésente dans les conversations publiques et privées, qu’en est-il réellement ? Existe-t-il un désamour grandissant entre les MRE et le Maroc ou s’agit-il d’une image déformée par des cas particuliers ou des ressentis locaux ?
Les données officielles disponibles à ce jour contredisent partiellement cette idée d’un désengagement. Selon le ministère des Affaires étrangères, 1 520 951 MRE sont arrivés au Maroc entre le 5 juin et le 10 juillet 2025, dans le cadre de l’opération Marhaba 2025, soit une hausse de 13,3 % par rapport à la même période de l’année précédente.
Les statistiques de l’Observatoire du tourisme révèlent également une augmentation de 11 % des arrivées touristiques internationales en juin 2025, avec près de 1,7 million d’entrées, toutes nationalités confondues. Cette dynamique concerne aussi bien les arrivées par voie aérienne (+12 %) que maritime (+12 %).
Certaines nationalités sont bien identifiées dans les chiffres : la France (~485 000 arrivées), l’Espagne (~448 000), la Belgique (~110 000), le Royaume-Uni (~109 000), et l’Italie (~84 000). En revanche, aucune donnée précise n’est disponible pour des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse, ou les pays scandinaves, alors même qu’ils accueillent d’importantes communautés marocaines.
Ces chiffres, bien qu’encourageants, ne disent pas tout. Ils ne permettent ni d’identifier les générations qui rentrent (parents, enfants, jeunes de 2e ou 3e génération), ni de connaître leurs destinations préférées à l’intérieur du pays (grandes villes, régions d’origine, zones balnéaires ou rurales). Ils ne précisent pas non plus combien de MRE ont choisi d’autres pays pour leurs vacances d’été.
Surtout, les absences statistiques de certaines diasporas importantes – comme l’Allemagne – interrogent. Pourquoi certaines communautés sont-elles invisibles dans les rapports officiels ? S’agit-il d’un défaut de collecte ou d’un désintérêt pour la lecture fine des mouvements migratoires temporaires ?
L’opération Marhaba, lancée en 2001, mobilise chaque été un impressionnant dispositif logistique et humain pour accueillir les MRE dans de bonnes conditions. Elle est saluée pour sa rigueur et son envergure, mais elle reste déconnectée d’une évaluation qualitative sérieuse. Il est aujourd’hui crucial de dépasser la seule logique d’accueil technique et d’ouvrir un chantier de recherche structuré sur les pratiques réelles de retour, leurs motivations, leurs évolutions générationnelles et régionales, ainsi que les frustrations ou blocages qui pourraient freiner la dynamique.
Ce que l’on doit mettre en place de toute urgence, c’est une étude détaillée, croisée et territorialisée, qui identifie : qui sont les MRE qui rentrent ? De quelle génération ? Où vont-ils exactement ? Dans quelles régions séjournent-ils ? Quels sont ceux qui ne reviennent pas ? Et pourquoi ? Quelles destinations concurrentes (Espagne, Portugal, Turquie…) attirent les MRE aujourd’hui ? Quelle image les jeunes générations gardent-elles du pays d’origine ?
Une telle enquête, combinant données quantitatives et entretiens de terrain, permettrait enfin de trancher entre perception et réalité, et d’adapter les politiques publiques à la diversité des profils et des attentes.
L’idée d’un été sans MRE ne résiste pas aux données brutes, mais les statistiques actuelles sont trop partielles pour refléter la complexité du phénomène migratoire transnational. Face à l’importance stratégique des Marocains du monde, il est temps que le Maroc investisse non seulement dans leur accueil, mais aussi dans la compréhension profonde de leurs comportements, attentes et nouvelles géographies affectives.
par Khadija Elgour, sociologue