Le projet de loi 59-24 : les questions qui fâchent

Le projet de loi 59-24 relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche scientifique, tel qu’il a été adopté par le Conseil du Gouvernement du 28 aout dernier suscite une véritable levée de bouclier de la part du corps enseignant et des organisations estudiantines. Plusieurs reproches et griefs ont été adressés au gouvernement et tout particulièrement au Ministre de tutelle qui a piloté ce texte :
absence de concertation et de dialogue avec les premiers intéressés à savoir les enseignants et les étudiants, adoption d’un texte stratégique dans la précipitation et en pleine période de vacances, privatisation rampante de l’enseignement supérieur public et sa marchandisation, remise en cause de la gouvernance démocratique en donnant plus d’importance aux nominations directes des responsables…Bref, le Ministre a réalisé une prouesse, celle de créer l’unanimité contre le projet.
Valoriser l’existant.
Le sujet est tellement important qu’il ne doit pas être traité exclusivement par les technocrates du Ministère. Il a trait à l’avenir de notre jeunesse et au développement de notre pays. C’est une question sociétale de première importance.
Avant d’entamer la rédaction du texte, il aurait fallu engager un débat démocratique avec une évaluation de l’existant et notamment de la loi 01-00 portant organisation de l’enseignement supérieur. Peut-être qu’il aurait fallu procéder à la révision de cette dernière à la lumière de la vision stratégique de l’enseignement 2015-2030 et de la loi-cadre n° 51-17 relative au système d’éducation, de formation et de recherche scientifique toujours en vigueur.
Une telle démarche a l’avantage de la continuité et de l’accumulation. On ne fera pas du passé, ni du présent table rase. Nous avons des structures et des instituions dont certaines marchent bien et d’autres moins bien. Le bon sens voudrait qu’on valorise l’existant tout en corrigeant ce qu’il y a à corriger.
L’Université publique d’abord.
Au lieu de faire ce travail méthodique et de suivre une démarche participative, le Ministère a travaillé en solo pour concocter un projet de 113 articles et 11 chapitres, sans vision d’ensemble et sans cohérence dans la démarche, mal structuré comme l’a bien noté le Conseil Supérieur de l’Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique dans son avis 18-2025 adopté le 20 mai 2025. Qui plus est, cet avis a été donné suite à une saisine du Chef du Gouvernement. Et le Conseil de faire une série de recommandations portant sur le rôle « développentiste » et stratégique de l’Enseignement Supérieur en considérant, à juste titre, l’autonomie pédagogique, scientifique et administrative de l’université comme un choix stratégique tout en préservant la position dominante de l’Université publique.
D’autres recommandations pointues portent sur différents points traités dans ledit projet de loi : la structure et organisation de l’enseignement supérieur, sa gouvernance, la relation secteur privé-secteur public, la recherche scientifique et innovation, le financement … Force est de relever que le Ministère a totalement ignoré ces recommandations émanant pourtant d’une instance constitutionnelle composée d’hommes et de femmes du métier qui savent parfaitement de quoi ils parlent.
Une rentrée universitaire tendue.
C’est un comportement pour le moins bizarre et condamnable par principe. Trop d’Ego peut conduire à des aberrations incalculables et à terme à un isolement regrettable.
Le fait qu’un quotidien proche des milieux officiels, le Matin pour ne pas le citer, consacre à ce sujet deux longs articles en exposant les positions des organisations estudiantines et du Syndicat National de l’Enseignement Supérieur (SNESUP), en dit long à ce sujet avec un titre sous forme d’avertissement : « Enseignement supérieur : les syndicats s’élèvent contre le projet de loi 59.24, des mouvements de grève en perspective »
C’est dire que le projet tel qu’il est ne doit pas passer et personne n’est prêt à avaler la couleuvre. C’est à juste titre que le Bureau National du SNESUP a décliné, à l’issue d’une réunion urgente, l’invitation du Ministre pour une rencontre en posant comme préalable le retrait dudit projet et le retour à la table du dialogue social.
Plusieurs questions traitées par le projet de loi sont des questions qui fâchent.
D’abord, en fermant la porte à toute concertation préalable avec les différentes composantes de l’université, le Ministère agit en contradiction avec la Constitution du pays. C’est une vraie provocation de nature à perturber la rentrée universitaire et à saper le moral des enseignants et des étudiants. Au lieu de faire de la réforme un moment opportun de mobilisation collective et de stimulant moral, le Ministère vise à casser l’élan et donner un coup de grâce à l’université publique.
Une gouvernance à plusieurs têtes.
Le fonctionnement de l’Université et sa gouvernance ont été totalement chamboulés en créant de nouvelles instances dans la confusion la plus totale. Au conseil de l’Université vient se greffer « un Conseil de gouverneurs » dont la majorité des membres sont nommés en dehors de l’Université et investi de larges prérogatives qui effacent pratiquement le rôle du Conseil de l’université.
Il y a là une atteinte non seulement à l’autonomie de l’université, mais à la dignité de ceux qui siègent au sein du conseil de l’université. Ce « Conseil de gouverneurs » auquel assiste le Président de l’université « à titre consultatif » (sic) a tellement de pouvoirs allant jusqu’à l’actualisation de la stratégie de développement de l’Université, l’approbation de la stratégie pluriannuelle de développement de l’université. Autrement dit, les affaires de l’université vont être traitées en dehors de l’université et ceux qui y travaillent n’ont qu’à s’exécuter aux ordres !!
D’autres organes sont prévus comme mécanismes de coordination et de concertation. Ils sont au nombre de quatre : la commission nationale de coordination de l’enseignement supérieur ; le Forum des Présidents d’université ; Réseaux des Présidents des Etablissements Universitaires selon leur spécialité ; Observatoire de l’adéquation entre études supérieures et exigences du marché du travail.
La même confusion, relevée d’ailleurs par le CSEFRS, on la retrouve au niveau de l’architecture générale des établissements universitaires et des liens entre le public et le privé. Le projet fait la part belle au secteur privé notamment étranger. Même le partenariat public privé (PPP) est vu sous ce prisme.
Les Enseignants du public sont encouragés à prêter main forte au privé pour prospérer laissant le public poursuivre sa descente aux enfers. C’est un choix bien orchestré pour entériner une fois pour toutes un enseignement à deux vitesses. Bien sûr, personne n’est contre le secteur privé, à condition que celui-ci joue un rôle complémentaire au secteur public et contribue à la réalisation des objectifs nationaux arrêtés d’une façon souveraine.
Si le projet de loi ambitionne de mettre l’étudiant au centre de la réforme, cela ne ressort pas clairement dans le chapitre VIII « droits et obligations des étudiants » se contentant de reprendre des slogans et des déclarations d’intention souvent rabâchées. D’ailleurs, si l’intention était bonne, on aurait fait participer l’étudiant ou tout au moins l’écouter pour connaitre ses attentes.
On le voit, le projet de loi, rédigé dans la précipitation et avec une certaine suffisance, ne peut pas être retenu comme base de discussion.
Il comporte beaucoup d’imprécisions et manque de vision cohérente à tel point qu’on peut affirmer, sans aucune exagération, qu’il est en dehors du contexte et passe à côté des vrais problèmes du pays. L’examen est raté. Il faut revoir la copie de fond en comble. C’est aussi la conclusion de l’Avis du Conseil Supérieur de l’Education. A bon entendeur, salut !
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