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Où sont les 600 000 emplois ?

Le marché du travail est caractérisé par sa morosité et son caractère irrégulier. Le nombre d’emplois créés varie d’une année à une autre. En général, la création d’emplois diminue. Alors que par le passé, un point de croissance permettrait la création de plus de 30000 emplois, ce ratio a diminué de moitié au cours des dernières années en raison surtout de la nature des investissements réalisés qui sont hautement capitalistiques, de faible rentabilité et peu utilisateurs de main d’œuvre.

Dans ce contexte, le gouvernement s’est engagé dans sa déclaration au moment de son investiture à créer 1 million d’emplois au cours de la législature. Tout indique, au vu des chiffres disponibles que cet objectif demeurera un vœu pieux.

Les pertes d’emplois dépassent les créations.
Le chef du gouvernement lors de sa dernière intervention sur les deux chaines publiques le 10 septembre dernier a déclaré que son gouvernement a créé jusqu’à présent 600 000 emplois. Ce chiffre nous parait exagéré et non fondé. Qu’en est-il dans la réalité ? Rappelons les chiffres année par année. En 2022, on a enregistré une perte nette d’emplois de 24000, résultat de la création de 150000 postes en milieu urbain et une perte de 174 000 en milieu rural. En 2023, la perte d’emplois a atteint 157000 emplois, en raison de la création de 41 000 emplois en milieu urbain et une perte de 198 000 en milieu rural. Ce n’est qu’à partir de 2024 que l’on a commencé à avoir une balance positive de 82 000 emplois nets : création de 162 000 emplois en milieu urbain et perte de 80000 en milieu rural. Sur les trois années, les pertes d’emplois, qui portent plus sur des emplois non rémunérés, dépassent les créations de près de 100 000 (soit exactement 99000 emplois)

Par ailleurs, les emplois créés sont en majorité des emplois précaires qui ont lieu essentiellement dans les services et dans le bâtiment. L’industrie, y compris l’artisanat, n’absorbe que quelques milliers.

Pour l’année en cours, seules les données du premier et deuxième trimestre sont disponibles. Bien qu’on dénote une amélioration sensible de création d’emplois, il faut attendre les résultats de l’année pour pouvoir comparer avec les années précédentes. Le Chef du Gouvernement table sur une création de 200000 emplois, on ne peut que l’espérer pour le bien du pays.
Près de la moitié des jeunes en chômage.

Si les chiffres sont tels que nous les avions présentés en nous référant à la source, on voit mal par quelle magie le Chef du Gouvernement a sorti de sa poche le chiffre de 600 000 créations. Sauf s’il s’agit des créations brutes sans compter les disparitions. Si c’était effectivement le cas, le taux de chômage aurait baissé en conséquence. Au contraire, celui-ci est allé crescendo : de 11,8% en 2022 à 13% en 2023 et 13,3% en 2024 avant de diminuer légèrement à 13,1% au premier trimestre 2025 et à 12,8% au deuxième trimestre de la même année. Sachant que le taux d’emploi et le taux d’activité sont extrêmement bas par rapport à la normale, surtout au niveau des femmes dont le taux d’activité n’est que de 19%. Un autre domaine dans lequel le gouvernement a échoué dans la mesure où il s’est engagé à porter ce taux à 30% à la fin de son mandat.

Bien sûr, le taux moyen du chômage varie en fonction du milieu de résidence, du sexe, de l’âge et du niveau de formation. En combinant ces critères, le taux de chômage avoisinerait les 50% pour la catégorie des jeunes 15- 24 ans. Au total, ce sont 1600000 personnes qui vivent les affres du chômage, pour la majorité des jeunes diplômés qui n’ont jamais eu la possibilité de mettre leur main à la pâte. Quel gâchis !

Un coût social exorbitant.
Par ailleurs, le gouvernement aurait dû prendre des mesures pour pallier à la perte des emplois dans l’agriculture en favorisant des activités génératrices de revenus et de richesse. Le monde rural ne doit pas rester prisonnier de l’agriculture, des caprices de la nature et des choix néo-libéraux. On le voit aujourd’hui, le coût social de ces choix est extrêmement exorbitant, non seulement pour les habitants des campagnes, mais également pour la nation dans son ensemble. Le Gouvernement commence à peine à s’en ressaisir en inscrivant dans sa feuille de route sur l’emploi quelques mesures pour sauvegarder l’emploi en milieu rural. Mais il en faudra beaucoup plus : une véritable stratégie de développement rural couplée à une remise en cause de ce plan « green génération » (qui a succédé au plan Maroc vert) qui n’a fait qu’appauvrir et assoiffer la paysannerie pour enrichir une poignée de gros agriculteurs.

Le gouvernement aurait dû également donner plus d’importance à la PME qui constitue plus de 90% du tissu entrepreneurial. Elle est présente sur l’ensemble du territoire national et capable de créer plus d’emplois avec un minimum d’investissement. Avec le coût d’un emploi dans une grande entreprise qui se chiffre en millions de DH, la PME serait en mesure de créer plus d’une dizaine d’emplois ! Malheureusement, le gouvernement tarde à mettre en œuvre le décret relatif au dispositif d’aide à la TPME en application de la nouvelle charte d’investissement.

Ce sont là quelques questions qui auraient pu être posées au Chef du Gouvernement lors de son intervention sur les deux chaines publiques financées par l’argent du contribuable qui a droit à une information objective, qui a droit à la vérité au lieu de lui raconter des bobards. On regrettera que les deux journalistes, par ailleurs sympathiques et compétents, n’ont pas été dans leur rôle pour pousser le Chef du gouvernement dans ses retranchements sur cette question de l’emploi comme sur d’autres. Ils se sont contentés d’un « service minimum ». C’est regrettable et décevant.