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« L7a9ed », un homme enragé est de retour

Après avoir été empêché de présenter son dernier album « Walou » à la librairie « Al Karama » à Casablanca en 2014, Mouad Belrhouate alias « L7a9ed » (El Haqed dans la graphie Web/SMS) revient vers ses fans, trois ans plus tard, avec un nouvel album : « De Oukacha à Molenbeek ». Album produit en Belgique -où le rappeur a récemment obtenu l’asile politique- et diffusé gratuitement sur Youtube le 9 juin 2017, jour de son anniversaire.

Composé de quinze titres, l’album fait le buzz sur internet. De quels sujets traite-il dans cet album ? Mais qui est Mouad Belrhouate ?

Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Albert Camus (1913-1960), écrivain et romancier français, considère que l’homme révolté est celui qui dit non. « S’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement ». Et qu’est ce qu’un homme enragé ? Mouad Belrhouate, rappeur marocain, estime que l’homme enragé est celui qui est « indigné par la situation dans laquelle se trouve son pays ».

Plus connu sous son nom artistique de « L7a9ed » (l’enragé) est né en 1988, à Casablanca, dans une famille conservatrice. Il se considère comme un rappeur enragé. Ses chansons, rédigées en darija (dialecte arabe marocain), décrivent les souffrances des plus pauvres, des exclus et de leurs espérances. Au début de sa carrière, il puisait son inspiration dans le quartier al Wifak, surnommée Oukacha (du nom de la prison civile de Casablanca) où il résidait. « Ensuite, les choses ont évolué. Mes horizons se sont élargis au point de devenir un héraut de l’appel au changement au Maroc » avait raconté le jeune rappeur à un site d’information arabophone.

D’après lui, ses titres appartiennent au « Rap pénitencier » puisqu’il considère le Maroc, et particulièrement son quartier (Oukacha), comme une prison à ciel ouvert.

Inconnu du grand public, il a acquis de la notoriété après son arrestation, le 10 septembre 2011. Artiste engagé aux côtés du mouvement du 20 février 2011 (M20), il en devint le porte-étendard, ce qui provoqua la colère des autorités marocaines. Interdit de chanter, il ne pouvait se produire dans aucun festival musical au Maroc et subit de nombreuses intimidations.

« Plusieurs jeunes multipliaient les allers-retours entre la prison et le quartier» avait-il déclaré. Du quartier Oukacha à la prison d’Oukacha, tel est le triste parcours des jeunes d’al-Wifak. Mouad Belrhouate n’en fut pas épargné. Il fut arrêté à trois reprises : la première fois pour une prétendue dispute avec un membre de la jeunesse « royaliste ». La deuxième fois à cause du titre d’une de ses chansons, « Kilab Al-Dawla (Les chiens de l’Etat) », où il dénonçait la corruption au sein de la police. Le rappeur est alors accusé d’« insultes à l’égard des autorités » et « outrage à un corps constitué »Il sera condamné, le 11 mai 2012, à un an de prison ferme. « Si je devais m’excuser à quelqu’un ce serait aux chiens, eux au moins ils n’agressent personne » avait-il ironisé au micro de France 24.

Lorsque Mouad sortit de prison, quelqu’un se présenta à lui et lui proposa d’enterrer la hache de guerre, de tourner la page et d’entamer une nouvelle vie. Tous ses désirs seraient des ordres, il lui suffisait de demander… Il lui aurait répondu par le verset 33 de Sourate Youssef: « Ô mon Seigneur, la prison m’est préférable… ». Quelques jours plus tard, il fut de nouveau arrêté. Ce fut la troisième fois. Une fois de trop. La Justice l’avait accusée de vendre au marché noir des tickets de match de football. Accusation démentie par le rappeur.

De Oukacha à Molenbeek

«Pour être sincère, je n’ai jamais eu l’intention de déposer une demande d’asile politique, mais j’y étais obligé ». Dans un site d’information arabophone (« al Aoual »), il explique qu’il s’était rendu à Bruxelles pour donner un concert. Entre-temps, la police s’était rendue à son domicile à sa recherche. S’il revenait au Maroc, il serait encore une fois arrêté.

A Bruxelles, Mouad Belrhouate ne perd pas son temps, il sort un nouvel album. Sur la couverture de cet album, on voit au premier plan le buste nu de Mouad Belrhouate portant une casquette. Il a la tête dans les étoiles et le regard semble appeler des lendemains qui chantent. Au second plan, le ciel est nuageux, il s’agit peut-être d’une journée d’été, puisque l’album est sorti au mois de juin. Au bas de l’image se trouvent les initiales du titre de l’album qui forme le mot «M3LM (maître en la matière)», chaque lettre renvoie à un mot « Mn 3oukacha Li Molenbeek (De Oukacha à Molenbeek ».

« Oyez, Oyez braves gens ! Arrêtez tout et écoutez attentivement puisqu’il revient. Mouad L7a9ed s’adresse à vous ». Ainsi commence le rappeur une de ses chansons « Insane (Humain) ».

Pour Mouad Belrhouate, dans le monde arabe, « on est interdit de parole et de rêve (…). Il est interdit de vivre. Nous sommes vivants, mais en train de mourir, il est même interdit de réfléchir (…). Que de lignes rouges et de vils dirigeants ».

Il n’est pas tendre non plus avec ceux qui nous dirigent : « Ils ont cultivé leurs esprits, et nous, nous avons fait de l’ignorance une profession de foi (…). Ils [les dirigeants] ont interdit la philosophie, exigé le respect des diseuses de bonne aventure et ont fait de la femme un pur objet sexuel ».

Au Maroc, le « printemps arabe » a accouché d’une nouvelle Constitution adoptée lors d’un référendum avec un score au-delà de tout commentaire (98%). Mouad et les jeunes du mouvement M20 avaient appelé au boycott de ce référendum. « L7a9ed » n’a d’ailleurs jamais cru aux sirènes électorales dans le Royaume aux mille contrastes. Le boycott des élections, telle est sa profession de foi. Ce n’est donc pas une surprise s’il a signé l’un des titres de son album : « Boycottez », où il prononce ces paroles : « Boycotte ! Ne soit pas un esclave dans le souk. Lève ta tête vers le haut et ne les laisse pas te mener à la petite baguette ».

Mouad ne mâche pas ses mots à l’encontre des médias audiovisuels marocains : « Ajoutez du maquillage ! Appelez le dépannage ! Des émissions anesthésiantes qui font la promotion de la bêtise et de l’ignorance ». Les mots de « L7a9ed » ont toujours eu la puissance et la précision d’un projectile.

« L7a9ed » n’oublie pas, actualité oblige, de consacrer un titre de son album au Hirak du Rif, sous le nom de « Ana rifi (Je suis Rifain) », où il clame haut et fort son soutien à ce mouvement de contestation pacifique.

Simulant un appel téléphonique au Maroc, Mouad Belrhouate tombe sur le répondeur. Il laisse un message comme introduction à son album : « Allo, pourquoi tu ne réponds pas ? Que t’ai-je fait ? Tu m’as beaucoup manqué. Tes quartiers, tes rues, et tous tes lieux me manquent. Circuler sur tes sentiers me manque. (…) Je veux te dire que je pense à toi tout le temps. Bref, j’ai terminé l’album, j’espère que tu l’aimeras et que tu seras fier de moi. Ô mon pays, prends soin de toi ».

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