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Le Maroc à la recherche d’une société

La question du Sahara ou encore la récente qualification de l’équipe nationale pour la Coupe du Monde pourrait laisser croire que le Maroc dispose d’une pseudo-société unie. Tant mieux, car la réalité est tout autre. La population marocaine n’est pas seulement hétérogène, elle est coupée en deux sous-populations qui n’ont rien en commun. L’Elite et le Peuple. La première parle, écrit et pense en français, voire en anglais. Le second est cantonné à l’arabe (et encore). La première est dite ouverte d’esprit et tolérante. Le second est dit conservateur et rétrograde. L’Elite méprise le Peuple et se méfie de lui, car le Peuple est ignorant. Le Peuple déteste l’Elite et doute d’elle, car l’Elite est corrompue.

Ces sentiments réciproques ne font qu’accentuer la thèse du Maroc utile versus Maroc inutile, héritée du protectorat français. Ce fossé se creuse au fur et à mesure et semble aujourd’hui tel qu’il en devient impossible de parler d’une société marocaine. Comment pouvons-nous parler d’une société marocaine, unique et unie, lorsque ses deux composantes ne se fréquentent jamais? Ni dans les transports, ni dans les écoles, ni dans les hôpitaux et encore moins sur les plages.

Au-delà de cette non-cohabitation, c’est la façon dont laquelle chacune des parties envisage son alter-ego. Pour le Peuple, l’Elite est formée de ce qu’il appelle wlad lflouss ou encore de façon plus insultante, wlad papa. Cette dernière expression en dit long sur cette espèce de ressentiment qui anime les catégories « inférieures » vis-à-vis de ce qu’elles considèrent être des chanceux. Pour ces wlad chaâb, l’Elite ne doit son rang et ses privilèges qu’à son origine sociale, à son nom de famille. Elle serait tellement corrompue qu’elle n’aurait pour intérêt que de faire perdurer ses privilèges. Ce faisant, le Peuple ôte à l’Elite la possibilité de se sentir liée au destin des plus démunis. De, même l’Elite perçoit le Peuple comme une masse informe, incapable d’agir ou de penser seule. John Adams, l’un des pères fondateurs des Etats-Unis, ne disait-il pas lui-même au sujet du peuple qu' »il ne peut ni agir, ni juger, ni penser, ni vouloir »?

Je vois en ce conflit un frein au développement de notre pays. Le progrès social, économique et culturel ne vient pas de l’Elite à elle seule, ni du Peuple à lui seul. Le progrès est le résultat d’une dynamique collective, d’un changement d’état d’esprit dans toutes les catégories de la population, d’une prise en compte que le destin de tous les Marocains est lié. Le Maroc est désespérément à la recherche d’une société unie pour enfin lancer son processus de développement.

Bien sûr, de grandes manifestations telles qu’une Coupe du Monde de football, peuvent être l’occasion de dépasser ce clivage entre Peuple et Elite. Mais ce sentiment d’unité nationale est trop éphémère. La question de l’intégrité territoriale du Maroc est insuffisante pour parler d’une véritable société unie, tant la réaction des Marocains est un quasi-réflexe (à juste titre). Ce dont le Maroc a besoin pour bâtir sa société, c’est d’une éducation nationale forte et ambitieuse qui inculquerait les mêmes valeurs civiques, le même récit national aussi bien à wlad chaâb qu’à wlad lflouss.

La réforme de l’éducation est donc la mère des réformes. Combien d’années faut-il encore attendre avant d’avoir une éducation nationale digne de ce nom? Quand est-ce que le bourgeois pourra inscrire son enfant gratuitement, sans avoir à payer les 3000€ par trimestre que demande la mission et qui poussaient notre nouveau ministre de l’Éducation nationale à manifester en 2012? Quand est-ce que le prolétaire pourra inscrire son enfant à l’école marocaine sans avoir à se lamenter sur son sort? Et enfin, quand est-ce que les deux pourront voir leurs enfants être dans la même classe et bénéficier du même enseignement de qualité sans avoir à craindre pour le futur de leurs enfants? Car il ne faut pas oublier, wlad lflouss et wlad châabsont avant tout wlad lmaghrib.

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