Politique

Mise à niveau des maisons des jeunes: quatre questions à Othmane Makhoun, acteur associatif

Après l’âge d’or vécu à la fin du siècle passé, les maisons des jeunes sont passées par une longue traversée du désert qui a été accentuée par l’avènement de l’ère des smartphones et des réseaux sociaux. Dans cet entretien, Othmane Makhoun, ancien responsable au ministère de la jeunesse et des sports, aujourd’hui actif dans la société civile et l’encadrement de la jeunesse, livre son diagnostic de cette triste déchéance et ses propositions pour redonner à « Dar Chabab » ses lettres de noblesse.

1- Autrefois pépinières de compétences et de talents, les maisons des jeunes sont aujourd’hui en déliquescence, abandonnées par les pouvoirs publics et boudées par les jeunes. Qu’est-ce qui explique cette débâcle ?

Il faut d’abord signaler un problème de gouvernance. Les maisons des jeunes, en tant que structures de proximité, doivent être au plus près de la catégorie sociale qu’elles ciblent. A l’heure de la régionalisation avancée, il est inconcevable qu’une maison des jeunes située à Taznakhte ou à Guelmim continue d’être gérée depuis Rabat. Il faut changer d’approche. Le ministère devrait passer la main aux collectivités locales pour que ces établissements soient administrés par des fonctionnaires de la commune et financées par les fonds propres de celle-ci et de ses partenaires (société civile, secteur privé…), de façon à être au plus près des besoins des jeunes et pouvoir y apporter les réponses adéquates.

2- Qu’en est-il du personnel, des équipements et du financement ? Les ressources mises à la disposition des maisons des jeunes sont-elles à la hauteur des rôles attendus d’elles ?

Il ne faut pas se tromper de débat. Ce n’est pas à mon sens une question de ressources. Pour qu’une maison des jeunes fonctionne, on n’a pas besoin d’un budget faramineux, d’une armada d’employés ni de formations de haut niveau. Il suffit de fournir un local propre et bien aéré, raccordé au réseau d’eau potable et d’électricité et équipé d’une connexion Internet, avec des tables et des chaises, et d’embaucher quelques personnes, salariées ou bénévoles, pour assurer l’encadrement des jeunes et l’entretien des lieux et tenir les comptes.

A notre époque, Dar Chabab dans laquelle on passait le clair de nos journées n’avait que des ressources rudimentaires. Mais nous y avons passé les plus belles journées de notre vie parce qu’avec des moyens de bord, nous arrivions à monter tout une palette d’activités qui joignent l’utile à l’agréable: nous avions un club de théâtre et de cinéma, un club de dessin et d’art plastique, un autre de musique, un autre de football… Et pendant les weekend et les vacances, nous organisions des sorties, des pique-nique, etc.

C’est pour vous dire que ce n’est pas l’infrastructure qui compte, mais la qualité du contenu qu’on propose et l’ambiance qu’on crée. Sans cela, le plus beau et le plus moderne des espaces ne sera qu’une coquille vide.

Nous avions bien compris cela et nous nous sommes appropriés ce lieu qu’est Dar Chabab, en le considérant comme un deuxième chez-nous, un bien commun qu’il incombe à chacun de préserver et d’embellir.

3- Mais aujourd’hui, au 21ème siècle, les jeunes ont des préoccupations et des exigences qui sont nettement différentes ?

Bien sûr, les temps ont beaucoup changé. Mais le besoin de s’exprimer librement, d’être écouté, d’appartenir à un groupe et de s’y sentir aimé, estimé et reconnu, est commun à tous les jeunes, abstraction faite des époques et des lieux. Justement, Dar Chabab est l’un des espaces qui permettent au jeune de se sociabiliser, de s’épanouir et de s’affirmer. Outre son rôle en matière de divertissement et de développement de la personnalité, Dar Chabab peut aider à l’insertion socioprofessionnelle des jeunes. Il y a là un vaste champ à investir: des sessions de formation et des workshops peuvent être programmées pour leur apprendre les compétences favorisant leur employabilité, les initier à l’entrepreneuriat, etc. Aussi, n’oublions pas que la maison des jeunes peut être le lieu où un étudiant ou un diplômé peut nouer des contacts et construire un réseau socioprofessionnel, parce que c’est un espace où étudiants, enseignants et fonctionnaires se côtoient, dans un climat de respect, de confiance et d’entraide.

Personnellement, je suis fier d’appartenir à une génération qui a fait son apprentissage de la vie à la maison des jeunes du quartier. La plupart de mes anciens camarades de Dar Chabab sont actuellement d’éminents professeurs, chercheurs ou cadres supérieurs et c’est grâce, en partie, aux enseignements qu’ils ont reçus entre les murs de cette vénérable institution qu’ils sont devenus ce qu’ils sont aujourd’hui.

4- Avec la révolution numérique et l’essor des réseaux sociaux dont les jeunes sont les premiers utilisateurs, comment réconcilier ces derniers avec les maisons des jeunes ?

Si les jeunes d’aujourd’hui sont si attachés aux réseaux sociaux, c’est parce qu’ils n’ont pas d’alternative. S’ils trouvent un espace accueillant qui favorise leur épanouissement et des gens attentionnés, qui les mettent en confiance et les aident à libérer leur potentiel, je vous promet qu’ils ne se tourneront pas vers le monde virtuel pour satisfaire leur besoin d’attirer l’attention et de se sentir aimés et appréciés.

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