Culture

Est-on en Inde devant un passage de Bollywood à Tollywood ?

Danses exaltées, chorégraphies chatoyantes, combats démesurés, conflits de castes, histoires d’amour… Ce foisonnement d’actions et d’émotions fait de Bollywood la terre des scenarios les plus fascinants mais aussi les plus surréalistes.

En Inde, ce pays aux cultures kaléidoscopiques qui produit un record mondial de plus de 1.600 films par an, l’industrie cinématographique de Bollywood, contraction de Bombay et de Hollywood, régnait sur le box-office pendant des décennies.

En effet, le cinéma indien est dans une large mesure synonyme de Bollywood. Cependant, un changement majeur vient de se produire ces derniers temps en ce sens que l’empire Bollywood qui se réfère spécifiquement aux films en hindi réalisés à Mumbai ne représente que 20% de la production cinématographique annuelle de l’Inde. Les 80% restants sont principalement des films en langues télougou, tamoul, malayalam, kannada, bengal, marathi et gujarat en sus d’autres films réalisés dans d’autres langues régionales.

A l’heure qu’il est, les productions sorties en langue télougou, d’où l’appellation Tollywood, se taillent la part du lion des recettes au box-office indien avec des films comme « Pushpa-The Rise » réalisé par Bandreddi Sukumar, « Bahubali » de Sri Rajamouli ou encore « Sarkaru Vaari Paata » réalisé par Parasuram.

Selon le cabinet de conseil Ormax Media, les films réalisés en 2021 par Tollywood ont largement devancé ceux de Bollywood au box-office, en réalisant 46 % des ventes totales de billets contre 27 % pour les films en langue hindie.

Ce constat vient d’être confirmé après la consécration du blockbuster télougou indien « RRR », de l’Oscar de la meilleure chanson originale lors de la 95e cérémonie des Oscars, organisée récemment à Hollywood. Il s’agit de la troisième grande victoire pour la chanson « Naatu Naatu » (danse, danse) après un Golden Globe et un Critics Choice Award.

Composé par MM Keeravani, « Naatu Naatu » marque ainsi l’histoire indienne en tant que première œuvre d’art locale de Tollywood à remporter le Prix le plus prestigieux de l’industrie cinématographique mondiale. Les recherches en ligne de l’énergétique « Naatu Naatu » sur Google ont grimpé en flèche de 1.105 % dans le monde après que la chanson à succès Telugu ait remporté l’Oscar tant convoité.

« Je ne trouve pas les mots pour exprimer ma joie. Ce n’est pas seulement une victoire pour RRR mais pour l’Inde l’entière. Je crois que ce n’est que le début », s’est ému Nandamuri Taraka Rama, ayant interprété l’emblématique « Naatu Naatu » en compagnie de la star Ram Charan.

« Rien de tout cela n’aurait été possible sans un maître appelé Rajamouli », assure Nandamuri Taraka Rama, principal acteur dans RRR, un très long-métrage télougou de trois heures qui relate l’histoire de deux révolutionnaires ayant combattu les Britanniques dans l’Inde des années 1920.

Désormais, Tollywood espère que le succès de RRR aux Oscars ne fera que cimenter la position de l’industrie locale non seulement en Inde mais dans le monde.

Les recettes au box-office des films télougou au cours des deux dernières années ne cessent de grimper en flèche. A titre d’exemple, « Bahubali – The conclusion » a engrangé 15 millions de dollars le premier jour de sa sortie, alors que « RRR » a collecté 33 millions de dollars dans le monde le premier jour. RRR, est devenu le deuxième film indien le plus rentable de tous les temps avec environ 160 millions de dollars de recettes mondiales à ce jour.

Selon des observateurs, la montée exponentielle de Tollywood s’explique par l’émergence d’une classe moyenne notamment dans les Etats du Sud, qui peuvent désormais s’offrir des sorties familiales dans les cinémas.

Ces nouveaux membres de la classe moyenne, ne parlent pas l’hindi comme langue maternelle. Et même s’ils le comprennent le plus souvent, l’hindi étant une matière obligatoire à l’école, ils privilégient avant tout des films sorties dans leurs langues natales.

De même, des critiques reprochent à Bollywood ses films élitistes axés sur la vie citadine dans un pays où la population rurale s’élève à 70%.

« Les choix qui paraissent pertinents aux cinéastes hindis ne le sont sans doute pas pour le grand public », a, dans ce sens, commenté la superstar indienne Aamir Khan.

En revanche, les films de Tollywood optent pour des scénarios qui semblent plus proche des cultures régionales, pour des décors locaux et surtout pour des chorégraphies musicales qui tendent à démontrer que les Etats du Sud, notamment l’Andhra Pradesh et le Telangana, où il a le statut de langue officielle, n’ont rien à envier à Bollywood.

L’on cite aussi ce boom technologique qui a métamorphosé l’industrie cinématographique en termes notamment des techniques de production (numérisation, son, image, réseau, effets spéciaux), mais aussi ces plateformes de streaming, également appelés plateformes over-the-top (OTT), qui permettent de visionner les dernières productions sans attendre une sortie en salles. Une révolution qui a permis aux Etats indiens, même les moins riches et les plus distanciés, de caresser leur propre rêve cinématographique loin de Mumbai, fief de Bollywood.

Quoi qu’il en soit, le cinéma indien, tourné à Bollywood ou à Tollywood, continue de faire vibrer les cœurs et les corps. Du premier long-métrage indien parlant, « Alam Ara » sorti en 1931, jusqu’à les toutes dernières superproductions, le 7e art indien ne cesse de façonner l’imaginaire commun et de construire l’identité de tout un pays, abstraction faite des appartenances ethniques, culturelles ou cultuelles.

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