Opinions

À qui confier la reconstruction des logements des sinistrés d’Al Haouz ?

Les régions montagneuses et oasiennes du Maroc ont historiquement vécu à l’écart des influences culturelles méditerranéennes, ce qui leur a permis de préserver leur patrimoine culturel authentique, notamment leur patrimoine bâti. Si les villes actuelles ont intégré dans leur urbanisme des modèles résidentiels «modernes », les villages, en revanche, sont restés loin de l’intervention de l’architecte, et ont ainsi pu préserver leur patrimoine architectural authentique, caractérisé par sa beauté et sa diversité.

Le mérite de la préservation de l’architecture domestique authentique dans les villages des régions précitées, revient aux maitres artisans, dites «mâalemines», qui possèdent des connaissances et des savoir‐faire transmis oralement de génération en génération.

Le haut niveau de connaissances et de compétences des maitres artisans, dont celui des détenteurs des métiers du bâtiment, a incité l’UNESCO à promouvoir le système des « Trésors humains vivants », en reconnaissance du rôle important des praticiens de l’art de bâtir en tant que patrimoine culturel immatériel . Rappelons que le trésor humain vivant est l’artisan artiste, pouvant réaliser une architecture traditionnelle, en argile ou en pierre, qui procure « un sentiment d’identité et de continuité » (UNESCO)

Nous soulignons ici que de nombreux pays attribuent chaque année des prix d’incitation à ces trésors humains vivants, dans le but de les encourager à continuer à exercer leurs métiers, à faire valoir leurs compétences et à les transmettre aux jeunes générations.

A cet égard et dans le cadre de la préparation du projet de reconstruction des maisons des victimes du séisme d’Al Haouz, survenus le 8 septembre 2023, nous constatons l’absence des pratiquants et des détenteurs des métiers du bâtiment traditionnel des réunions officielles, liées à l’utilisation des matériaux locaux dans la construction de nouvelles maisons pour les sinistrés. Il est à rappeler que les splendides habitations traditionnelles qui ont été touchées par le récent tremblement de terre, sont l’œuvre de ces maitres «mâalemines» et témoignent de leur ingéniosité. Ces derniers sont censés être des participants majeurs dans l’élaboration du projet de reconstruction des logements, digne des personnes sinistrées.

L’architecture produite par ces trésors humains, malgré la simplicité des matériaux de construction utilisés, reste l’une des plus belles architectures du monde, ce qui témoigne de son ancienneté et de son appartenance à notre civilisation ancestrale.

Pourquoi donc marginalisons-nous ces maitres «mâalemines », qui préservent notre patrimoine architectural, et nous ne leur accordons pas la place qu’ils méritent ?.

Nous tenons également à souligner que les projets de « restauration » de certains monuments historiques situés au centre et au sud du Maroc, comme les habitations anciennes, les igoudars , les Kasbahs et autres sites historiques et traditionnels, ne sont pas confiés directement aux «mâalemines» qui sont leurs vrais bâtisseurs. Ceux-ci, qui s’inscrivent dans le cadre de ce qu’on appelle internationalement « l’architecture sans architecte », ont débuté très tôt dans le métier d’architecte, avant l’émergence de la profession d’architecte moderne. En fait, seuls les «mâalemines», et pas d’autres, maîtrisant la construction avec des matériaux locaux (pierre ou argile) et avec des techniques et expériences héritées de leurs ancêtres, sont capables de mener à bien ces projets. La preuve en est les nombreux bâtiments historiques et traditionnels qui subsistent encore aujourd’hui, malgré le temps écoulé depuis leur construction, qui peut atteindre des centaines d’années.

Cette réalité nous oblige à prêter attention à ces personnes marginalisées, afin de les réhabiliter et de les intégrer dans nos projets de développement. Les autorités responsables doivent donc confier, directement sans intermédiaires, à ces trésors humains vivants, la réalisation des projets de restauration et de préservation de notre patrimoine bâti.

En effet, confier ces projets à des gens qui prétendent connaître notre patrimoine bâti, alors que la réalité est autre, contribuera à marginaliser davantage nos trésors humains vivants, en plus de gaspiller l’argent public.

Il est vrai que ces «mâalemines» travaillent en silence, sans papiers ni plans, mais leurs réalisations s’expriment par la créativité de leurs mains expertes en architecture traditionnelle.

Il est regrettable que l’on assiste aujourd’hui au déclin de l’influence de ces trésors humains vivants sur l’architecture en milieu rural. Certes, ces trésors étaient soumis à des lois coutumières relatives à la construction. Mais aujourd’hui ces lois ne sont plus appliquées, du fait de la disparition des institutions traditionnelles locales qui en contrôlaient la mise en œuvre. Ce vide juridique, qu’il soit coutumier ou officiel, a permis l’apparition dans nos villages d’une architecture inappropriée, construite avec des matériaux modernes et imitant ce qui prévaut en ville. C’est pourquoi nous voyons aujourd’hui dans beaucoup de nos villages, un mélange de maisons de types différents, qui les a transformés en complexes résidentiels hétérogènes, dépourvus d’identité et affectant le comportement socioculturel des habitants.

Cette situation, qui menace notre patrimoine bâti de disparition, nécessite une intervention rapide de l’État, en élaborant une loi qui réhabilite notre architecture authentique et met fin à toutes les violations existantes aujourd’hui dans le domaine de la construction rurale, et qui entraînent la déformation de nos villages et les rendent inesthétiques.

Afin de concilier la question du respect de la liberté de l’individu qui inclut son droit à un logement qui lui convient, et la question de l’engagement en faveur de l’intérêt général qui inclut la préservation de notre patrimoine bâti, l’intervention de l’État se limitera à l’aspect extérieur de la maison, c’est-à-dire sa forme, sa hauteur, ses matériaux et ses techniques de construction. Quant à l’intérieur de la maison, sa conception sera laissée à son propriétaire.

La société civile, quant à elle, restera un défenseur de notre patrimoine bâti et de ses valeurs, en tenant compte du respect de la diversité culturelle dans notre pays.

Il est donc très important de reconnaître le rôle essentiel de ces artisans-artistes dans la réhabilitation du patrimoine bâti. Cela contribuera à fournir des logements abordables et économes en énergie, ainsi qu’au développement du tourisme dans notre pays.

Dr Abdelouahed Oumlil- Chercheur universitaire en archéologie et patrimoine

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