Politique

Importation de déchets européens entre opportunité énergétique et menace environnementale

Les experts en environnement se montrent divisés quant à la décision du ministère de la Transition énergétique et du Développement durable d’autoriser l’importation de millions de tonnes de déchets ménagers et de pneus en caoutchouc en provenance d’Europe. Tandis que certains spécialistes considèrent cette mesure comme une avancée significative vers une meilleure gestion des ressources et un renforcement de la durabilité environnementale grâce au recyclage et à la valorisation énergétique des déchets, d’autres expriment des préoccupations quant aux risques potentiels associés à cette importation massive, redoutant des impacts négatifs sur l’environnement et la santé publique.

De son côté, le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable a justifié l’importation de ces déchets en affirmant que leur recyclage représente une opération à la fois économiquement avantageuse et écologiquement responsable. Selon le ministère, cette démarche contribue à la préservation des ressources naturelles et à la promotion de l’économie verte et circulaire du pays. Il a également précisé que cette initiative a permis la création de plus de 9 500 emplois directs et indirects dans les secteurs sidérurgiques. En outre, l’utilisation de pneus en caoutchouc déchiquetés permet de réduire les coûts énergétiques en diminuant les besoins en devises pour l’importation de combustibles fossiles, avec une économie estimée à plus de 20 dollars par tonne.

A travers les déclarations recueillies par le journal « Al Oamk fr », divers experts environnementaux illustrent le débat entre partisans et opposants, ce qui souligne l’importance d’évaluer l’impact environnemental de cette mesure et de garantir sa compatibilité avec les stratégies nationales de préservation de l’environnement et de la santé des citoyens.

Mohamed Benata : Préoccupations environnementales accrues

Le président de l’espace de solidarité et de coopération de l’oriental (ESCO), Mohamed Benata a exprimé son inquiétude quant à la décision du ministère de la Transition énergétique et du Développement durable d’autoriser l’importation de grandes quantités de déchets ménagers et de pneus en caoutchouc pour la production d’énergie, en les qualifiant de non dangereux.

Benata a souligné que l’utilisation de ces déchets au Maroc, si elle est effectuée selon des méthodes de recyclage respectueuses de l’environnement, pourrait être bénéfique sur les plans écologique, économique et social. Cependant, il s’est interrogé sur la capacité du Maroc à recycler des millions de tonnes de déchets ménagers importés, alors que les capacités actuelles de recyclage dans le pays ne dépassent pas 10 % des déchets locaux, le reste étant enfoui.

Benata a également mis en garde contre les risques pour l’environnement et la santé liés à la combustion de pneus en caoutchouc pour la production d’énergie, une pratique autorisée dans l’Union européenne, mais qui, selon lui, devrait être strictement réglementée, comme c’est le cas en Europe. Il a averti que ces pratiques pourraient aller à l’encontre des principes de la Constitution marocaine, qui garantit aux citoyens le droit de vivre dans un environnement sain, ainsi que du Pacte national pour l’environnement et le développement durable, et des textes juridiques visant à protéger l’environnement et à l’intégrer dans les plans de développement, en plus de la stratégie nationale de développement durable et de la stratégie nationale de transition énergétique.

Le président de l’ ESCO a insisté sur la nécessité de rechercher des alternatives plus durables, comme le renforcement du recyclage et de la réutilisation, afin d’éviter les dommages environnementaux et sanitaires potentiels liés à l’importation de déchets et de pneus en caoutchouc.

Mohamed Benabou : Les déchets importés, une ressource énergétique majeure qui réduit les émissions nocives

Mohamed Benabou, expert en climat et développement durable, affirme que le Maroc importe depuis plusieurs années des déchets classés comme non dangereux et respectueux de l’environnement, utilisés principalement dans l’industrie de la cimenterie. Il précise que ces déchets, conformes aux normes internationales et nationales selon la loi n° 28.00, font partie de la stratégie marocaine visant à améliorer la performance environnementale et à réduire les émissions nocives.

Benabou souligne que les déchets importés ne sont pas toxiques et respectent les normes mondiales, contribuant ainsi à minimiser les impacts environnementaux négatifs. Entre 2016 et 2019, le Maroc a importé environ 1,6 million de tonnes de ces déchets, qui sont considérés comme une ressource énergétique cruciale pour l’industrie marocaine.

Il ajoute que l’importation de déchets est soumise à des normes strictes, et qu’il est interdit de les enfouir dans les décharges, qui constituent des points noirs à l’échelle nationale. Le Maroc participe activement à la dynamique internationale visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre en utilisant des énergies alternatives plus respectueuses de l’environnement.

Benabou conclut en insistant sur l’importance de poursuivre l’importation et l’utilisation de ces déchets conformément aux normes environnementales strictes, afin de garantir l’atteinte des objectifs écologiques et de promouvoir la durabilité dans les divers secteurs industriels.

Mostafa Benramel : Les Marocains ne profitent pas du recyclage des pneus en caoutchouc

Mostafa Benramel, expert en environnement et président de l’Association des Phares Écologiques pour le Développement et le Climat, affirme que « la forte teneur en carbone des pneus en caoutchouc importés permet de constituer une ressource importante pour la production de grandes quantités d’énergie thermique nécessaires aux activités industrielles, notamment dans les cimenteries ». Cependant, il précise que « ces pneus sont utilisés dans les générateurs thermiques des installations industrielles, de sorte que les Marocains ne bénéficient ni de leur utilisation énergétique ni de leurs retombées économiques. »

Benramel, insiste sur le fait que « l’importance de l’utilisation de ces pneus pour les usines ne justifie pas de prendre le risque de leurs effets destructeurs sur l’environnement, ce qui contredit les divers engagements internationaux du Maroc, en particulier sa signature de l’Accord de Paris sur le climat, qui vise à limiter les causes et les effets néfastes du changement climatique. »

Le président de l’Association des phares écologiques explique que « la combustion de ces pneus par les usines pour obtenir de l’énergie thermique produit des émissions de gaz toxiques et une fumée noire qui contribue au changement climatique au Maroc en empêchant les rayons du soleil de se refléter sur la terre, ce qui est une des causes du réchauffement climatique. » Il ajoute que « ce processus menace la santé des travailleurs et des populations vivant à proximité de ces usines, notamment en provoquant des maladies oculaires, respiratoires et divers cancers chroniques. »

Ayoub Krir : L’importation de déchets contredit les objectifs du développement durable

Ayoub Krir, chercheur et militant écologiste, président de l’association Oxygène pour l’Environnement et la Santé, souligne que l’importation de déchets par le Maroc n’est pas un phénomène nouveau, ayant été pratiquée dans le passé sous prétexte de contribuer à la production d’énergie et à son utilisation dans les usines.

Krir rappelle qu’après la polémique suscitée par l’importation de déchets italiens en 2016, les enquêtes et reportages internationaux ont révélé que le problème résidait dans la nature de ces déchets, que certaines grandes puissances tentent de se débarrasser en les exportant vers des pays en développement pour protéger leur propre environnement et éviter la pression des lobbies écologistes européens.

Il précise que « certains des déchets importés sont toxiques et représentent un danger imminent pour l’environnement », appelant à cesser leur importation, compte tenu du nouvel élan de développement durable adopté par le Maroc, qui place le respect de l’environnement au cœur de ses priorités sociales. »

Krir affirme que « le Maroc dispose de quantités énormes de déchets qui lui permettent de les exporter plutôt que de les importer », ajoutant qu’il est nécessaire de valoriser ces déchets et de les exploiter de manière optimale. Il constate que, bien que le cadre législatif existe, il manque des mesures concrètes sur le terrain pour traiter ces déchets, qui sont souvent jetés de manière aléatoire, créant ainsi une situation environnementale et sanitaire dangereuse, voire mortelle. »

Ali charroud : L’importation de pneus en caoutchouc va à l’encontre des objectifs du Maroc en matière de neutralité carbone

Ali Charroud, chercheur dans les domaines de l’énergie et du climat, affirme que « les déchets de caoutchouc importés sont peu efficaces pour la production d’énergie thermique, car leur recyclage en grande quantité génère peu d’énergie, contrairement à d’autres ressources comme l’énergie solaire ». Il ajoute qu’ils représentent un faible coût économique pour les usines.

Charroud reconnaît que « l’importation de ces pneus en caoutchouc présente une contradiction : d’une part, elle est essentielle pour les usines marocaines qui en dépendent pour réduire leurs coûts de production. D’autre part, leur recyclage par ces usines a des répercussions environnementales graves, notamment l’émission de gaz toxiques, dont le dioxyde de carbone, étant donné que ces pneus sont fabriqués à partir de dérivés pétroliers. »

Le chercheur en énergie et climat estime que « les autorités gouvernementales doivent envisager des solutions alternatives pour rendre le coût des énergies renouvelables plus accessible aux usines, plutôt que d’encourager l’importation de ces pneus, car cela contredit l’objectif du Maroc d’augmenter la part des énergies propres dans le mix énergétique à 52 % d’ici 2030, avec l’ambition de s’y appuyer entièrement d’ici 2050. »

Charroud conclut en insistant sur le fait que « le ministère concerné ne doit pas faire régresser le Maroc dans ce domaine, mais plutôt continuer à promouvoir l’adoption de l’hydrogène vert, en ligne avec le projet royal, et à respecter les divers engagements internationaux pris par le Royaume pour garantir la neutralité carbone. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *