Les collectivités territoriales: vers une logique de présidents développeurs

Sans aucun doute, l’observation attentive et l’étude approfondie de la nature de la structure sociale et culturelle de l’institution de la présidence des collectivités territoriales au Maroc, depuis la promulgation de la Charte des collectivités locales en 1976, montrent qu’elle a été et demeure soumise à deux logiques fondamentales dans sa gestion :
- La logique des présidents-notables : Dans ce contexte, nous pouvons distinguer entre les notables traditionnels et les nouveaux notables, qui partagent une caractéristique essentielle, à savoir la détention d’une légitimité financière et politique, soit par leur proximité avec les autorités centrales, soit par un héritage historique (tribal, familial, religieux, etc.). Cette logique a été considérée par le chercheur Abdellah Hammoudi dans son livre « Maîtres et Disciples» comme un modèle culturel et social digne d’étude, car elle contribue à consolider le pouvoir localement à travers les relations sociales que les notables tissent avec leur entourage, relations qu’ils tentent de préserver. Cependant, ils n’agissent pas en tant que classe sociale aux objectifs unifiés ; ils sont en dehors des idéologies élitistes dominantes.
- La logique des présidents gestionnaires-acteurs : Il s’agit d’une logique liée à une catégorie de présidents qui possèdent généralement un capital culturel, professionnel, ainsi qu’un capital accumulé dans les domaines de la mobilisation sociale et économique (associations, coopératives, entreprises, etc.). Cela a permis à un nombre considérable d’entre eux de se qualifier pour exercer leurs rôles dans la gestion des affaires locales, ainsi que d’accomplir leurs missions de gestion, de représentativité et de contrôle, avec une appropriation croissante de la défense des intérêts du territoire.
En réalité, nous ne sommes pas en train d’évaluer ces deux logiques, qui sont encore prévalentes aujourd’hui, et auxquelles est soumise l’institution de la présidence des communes territoriales au Maroc, mais seulement que le pouvoir et le réseau d’influence de chaque logique diffèrent de l’autre, selon la nature de la structure locale de ces communes (rurales ou urbaines), ainsi que la nature de la structure culturelle et sociale des communautés qui y vivent (valeurs, coutumes, comportements, etc.). De plus, nous ne sommes pas en mesure de définir leur échec ou leur réussite, qui varie en fonction de leurs différents défis associés à de nombreuses contraintes et enjeux.
Cependant, en raison des grandes transformations rapides que connaît et continue de connaître l’Etat marocain, caractérisées par les réformes institutionnelles de décentralisation et de déconcentration liées au soutien à la régionalisation avancée, notamment après l’adoption de la Charte nationale de la décentralisation administrative, qui vise à transférer les compétences et les ressources aux communes territoriales, ainsi que l’accompagnement de la troisième phase de l’Initiative nationale pour le développement humain d’une part, et les évolutions internationales liées aux défis de la mondialisation et aux exigences de modernisation et de développement, en matière de transition numérique, ainsi que l’ouverture aux médias et aux institutions consultatives et à l’environnement international d’autre part.
Tous ces contextes multiples, avec leurs différentes échelles territoriales et leurs orientations de gestion, imposent la mise en place d’une nouvelle logique pour l’institution de la présidence des communes territoriales au Maroc, la logique « des présidents développeurs », qui jouent un rôle de leader dans la mobilisation des dynamiques locales, la recherche d’un système intégré de gouvernance territoriale, ainsi que la garantie de la convergence territoriale des divers programmes et projets de développement territorial, soutenant ainsi le projet de transformation de la commune en un espace territorial productif, qualifié et soumis aux interventions de divers acteurs.
Cependant, le débat autour de cette nouvelle logique ne peut être véritablement constructif que si un ensemble de facteurs déterminants pour sa vision et ses enjeux est présent, en concordance avec les conclusions auxquelles est parvenu l’Observatoire national du développement humain dans son rapport sur l’évaluation de la gouvernance locale et de la convergence territoriale des programmes et projets de développement humain, qui sont les suivants :
- La présence d’un consensus ou, au moins, d’une majorité confortable au sein des conseils communaux a un impact positif sur la gestion des affaires locales.
- La nature de la relation avec les autorités locales, qui devrait se caractériser par un renforcement de la coordination, de la coopération et de l’accompagnement / de la « Subsidiarité Positive ».
- La disponibilité d’une administration communale forte pour élaborer des cahiers des charges et des études de faisabilité, qui étaient souvent supervisées par l’assistant technique ou l’ingénieur communal, chargé de développer plusieurs projets simultanément. Cela entraîne des difficultés dans la mise en œuvre de ces projets, notamment en ce qui concerne la qualité technique de ces études et leurs estimations financières. Par conséquent, surtout dans les communes rurales, on fait appel soit aux services techniques régionaux et aux services déconcentrés pour élaborer ces projets, soit à des bureaux d’études, notamment lorsqu’il s’agit d’études de projets et de programmes majeurs, comme le programme de réduction des disparités territoriales et sociales.
- La capacité à maîtriser la situation financière afin de mobiliser le foncier nécessaire pour chaque opération ou projet lié aux infrastructures et aux services de base, ainsi que de stimuler la dynamique d’investissement.
- L’activation du principe de coopération entre les communes (l’intercommunalité) comme un moyen pertinent de solidarité et de réalisation de projets, tout en s’ouvrant à un partage d’autres services au lieu de se limiter à la gestion des déchets dans de nombreuses provinces.
- La Mobilisation des ressources financières et le renforcement des capacités des communes territoriales à s’endetter pour réaliser des projets et financer les dépenses d’équipement par le biais de prêts. L’étude réalisée par l’Observatoire National du Développement Humain a révélé que le taux d’endettement ne dépasse pas 1,1 % dans les communes rurales, contre 6,8 % dans les communes périurbaines et 7,8 % dans les communes urbaines par rapport à leurs revenus courants.
- Le Renforcement des valeurs de participation non seulement de la société civile, mais aussi de tous les domaines de mobilisation sociale et économique capables de contribuer à l’action publique, tout en mettant en avant leurs expertises et compétences dans la réalisation de programmes et de projets au sein de leurs territoires.
En guise de conclusion, l’entrée des communes territoriales dans une phase de professionnalisme commence par un diagnostic des capacités économiques, sociales et culturelles, suivi de la détermination des besoins, des ressources et des dépenses prévisionnelles pour la réalisation des programmes et projets. Cela nécessite la coopération et l’unification des efforts de tous les acteurs qui fournissent aux communes des approches scientifiques pour produire et utiliser des techniques et des connaissances, conférant ainsi aux communes territoriales la capacité institutionnelle de se développer au sein de leur territoire.
LAYACHI Nabil
Docteur en Géographie Humaine et Spécialiste en matière de développement territorial et migration internationale
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