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Violences contre les femmes au Maroc: Le machisme de la société pointé du doigt dans un rapport

Il avait des doutes sur sa fidélité, il lui avait interdit de travailler, de sortir de la maison et après avoir entamé la procédure de divorce, il a décidé de la tuer. K.A, mariée à 15 ans, mère de deux filles âgées de 8 et 16 ans, a été poignardée par son mari le 15 mars 2017 à Agadir.

Il lui a arraché la vie et mutilé ses pieds et ses mains devant sa cadette avant de se précipiter vers le collège de son aînée à qui il réservait le même sort, pensant que sa mère l’avait incitée à la débauche. Il a été arrêté et a écopé de la perpétuité.

Un fait-divers glaçant que l’association “Voix de femmes marocaines” a tenu à relayer dans le premier rapport annuel du Réseau Lddf-Injad contre la violence du genre dont elle est membre auprès d’une vingtaine d’autres associations et de centres d’écoutes. Présenté ce vendredi 23 novembre à Rabat, au cours d’une conférence de presse, le rapport dresse un état des lieux des violences à l’égard des femmes sur la base des données recueillies en 2017 par les différents centres du réseau.

Abus sexuels, abus silencieux

En chiffres, 10.559 cas de violences ont été enregistrés et 1.268 autres portés devant la justice. “C’est la violence psychologique qui arrive en premier”, déclare l’avocate et membre de la Fédération des ligues des droits des femmes (FLDF) Nabila Jalal en donnant lecture du rapport. Dans ce dernier, la violence psychologique représente 47%, totalisant ainsi 4.978 des cas, suivi de la violence économique et sociale qui concerne 24,82% des femmes, soit 2.621. Et c’est à la troisième position que se trouve la violence physique avec 16,32% des cas, soit 1.721 femmes.

En dernière position arrivent les violences juridiques et sexuelles avec respectivement 6,02% et 5,68% du total, c’est-à-dire 636 et 600 cas enregistrés. “Que la violence de type sexuel arrive en bas de l’échelle ne veut pas dire que nous n’en avons pas dans la société, mais qu’on la considère toujours comme un tabou. Les femmes se sentent gênées de venir la dénoncer”, tient à préciser cette avocate. Et d’ajouter que le fait de ne pas criminaliser ce genre de violence au sein d’une relation conjugale n’arrange pas la situation. “Pourtant c’est l’une des violences qui suscitent un impact psychologique des plus négatifs chez la femme”, regrette Nabila Jalal.

Mentalité, cet obstacle insurmontable est mis en évidence dans ce rapport. Ce dernier estime que la société marocaine dresse un mur contre la femme dès qu’il est question d’abus sexuel quel qu’en soit le genre: harcèlement et viol dans le cercle conjugal ou en dehors. “Le viol conjugal n’est pas reconnu dans la culture d’une société intolérante et machiste faisant des désirs sexuels du mari, quelle qu’en soit la nature, un des devoirs dont doit s’acquitter l’épouse sans aucune considération de sa dignité”, fustigent les militantes féministes dans ce rapport.

Sur les 600 cas de violences sexuelles recensées par les centres d’écoute et de soutien de ce réseau, 347 concernent des viols, dont 194 viols conjugaux. Le  détournement de mineur, le viol de mineur et l’incitation à la débauche ont fait l’objet d’au moins 25 cas déclarés. Quant à l’inceste, il arrive en dernière position avec 10 cas. “Les intérêts et la réputation de la collectivité (famille et société) passent avant ceux de l’individu, de la femme ayant droit de préserver sa dignité, de se protéger contre la violence et à ce que le responsable soit puni”, constate ce rapport. Et de souligner que “si les types de violences diffèrent, leur point commun reste la violence basée sur le genre se traduisant par des comportements qu’exerce l’homme sur la femme pour la soumettre à son pouvoir”.

Elles pensent au suicide

Résultat: une femme soumise à la violence n’a plus confiance en elle. Le rapport fait état d’une souffrance psychologique qui se traduit, pour la plupart, par le sentiment de peur et d’inquiétude constantes pour 1.925 des cas déclarés. Plus de 700 vivent un état nerveux qui se transforme chez 482 victimes en dépression nerveuse. L’idée du suicide est bien présente aussi chez ces femmes, dont 755 ont révélé aux centres qu’il leur arrive d’y penser.

D’autres vivent dans le sentiment de culpabilité et de mépris, loin des autres, renonçant même à leurs études, pour plus d’une centaine d’entre elles, indique le rapport, soulignant que plus de 1.400 cas vivent une détérioration de leur niveau de vie, perdent leur logement et voient leur ressources s’amenuiser.

Les données montrent aussi que plus de 250 femmes vivent une instabilité professionnelle et perdent leur travail, pour leur majorité, tandis qu’une quarantaine d’autres s’adonnent à la mendicité et à la prostitution.

Des impacts à tous les niveaux changent la vie de ces femmes victimes de violences. “Mais il n’y a pas que les femmes qui sont victimes, les enfants aussi en souffrent”, souligne cette autre avocate Fatiha Chtatou, précisant que la loi n’a pas pensé aux enfants soumis à un environnement marqué par la violence.

Le rapport a recensé 386 cas d’enfants souffrant d’isolement et plus d’une centaine ayant des comportements agressifs et nourrissant une haine pour leur père violent. Un retard scolaire a été constaté chez 65 cas et un abandon scolaire chez 13 autres. D’autres, ajoute la même source, sont privés d’état civil ou se retrouvent dans la rue sans avenir et face à des addictions de toutes sortes.

Une urgence sociale et juridique

Pour les militantes des droits de la femme, agir sur la protection de la femme et de l’enfant relève d’une urgence à la fois sociale et juridique. Dans leur rapport, elles appellent à des lois cadres et des politiques publiques plus adéquates aux besoins et plus strictes envers les violences. Elles recommandent la mise à la disposition des victimes des centres d’hébergement et des services de soutien psychologique, médicaux et juridiques gratuitement.

Autre recommandation: former une police spécialisée et active dans le domaine de la lutte contre les violences à l’égard des femmes ainsi que des magistrats qualifiés pour traiter ces cas et mettre en oeuvre la nouvelle loi 103-13 qui représente un grand acquis pour ces militantes. “Elle définit les violences mais n’agit pas sur la discrimination dont la femme reste victime”, fait remarquer Fatiha Chtatou, déplorant que le mariage des mineurs soit toujours légalisé au Maroc dont la constitution donne pourtant la priorité aux droits et à l’égalité homme/femme.

A quelques jours de la célébration de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre, ces militantes tirent la sonnette d’alarme. Elles estiment nécessaire pour le Maroc de mettre en place une nouvelle stratégie devant reconnaître et appliquer les droits des femmes tels que stipulés par la constitution. Une référence sans laquelle les lois tarderont, à leurs yeux, à donner aux femmes la place qu’elles méritent dans leur propre société.

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