Les interventions extérieures dans la région du Sahel africain entre droit international et intérêts géopolitiques

La région du Sahel africain constitue aujourd’hui l’un des foyers de tension les plus marquants du système international contemporain. Elle représente un espace géopolitique d’une grande complexité où s’entrecroisent les considérations sécuritaires, politiques et économiques avec les intérêts stratégiques des grandes puissances. Cette vaste zone, s’étendant de la Mauritanie à l’ouest jusqu’au Tchad à l’est, en passant par le Mali, le Niger et le Burkina Faso, est confrontée à une série de crises multidimensionnelles, tant internes qu’externes : fragilité étatique, échec des institutions publiques dans la réalisation du développement et de la stabilité, conflits identitaires, marginalisation politique et sociale, sans oublier l’essor du terrorisme transfrontalier.
Ce contexte critique a fait du Sahel un centre d’attraction majeur pour les acteurs internationaux et régionaux, transformant les interventions extérieures en un élément structurant de la reconfiguration de l’ordre sécuritaire et politique de la région.
Si le droit international consacre explicitement le principe de la souveraineté des États et de la non-ingérence dans leurs affaires intérieures, les dynamiques sécuritaires et humanitaires au Sahel ont néanmoins incité certaines grandes puissances et organisations internationales à justifier leurs interventions sous le prétexte de la « responsabilité de protéger » ou du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Se pose alors une question centrale : comment concilier le respect de la souveraineté des États avec les exigences de l’intervention internationale ? Ces interventions constituent-elles véritablement une expression des engagements de la communauté internationale envers les droits humains, ou bien ne sont-elles qu’un simple paravent destiné à masquer des visées géopolitiques et économiques ? Cette tension entre la norme juridique et la pratique politique traduit, dans son essence, une crise plus large du système international, où les considérations humanitaires se trouvent souvent mêlées à des agendas stratégiques.
Depuis le début du XXIe siècle, la région du Sahel a connu une intensification notable des interventions extérieures, particulièrement après les attentats du 11 septembre 2001 qui ont poussé les États-Unis et leurs alliés à renforcer leur présence militaire dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». La France, en tant qu’ancienne puissance coloniale, s’est engagée dans plusieurs opérations militaires successives, de « Serval » à « Barkhane », en invoquant la nécessité de soutenir les gouvernements locaux face aux organisations extrémistes. La Russie, quant à elle, a renforcé son implication en recourant notamment à la société militaire privée « Wagner », consolidant ainsi son influence sécuritaire et militaire dans la région. La Chine, de son côté, a privilégié l’usage d’outils économiques et d’investissements stratégiques afin de consolider sa présence. Bien que leurs méthodes diffèrent, ces puissances convergent dans leur quête de contrôle des ressources naturelles stratégiques telles que le pétrole, le gaz et l’uranium, ainsi que dans la maîtrise des couloirs stratégiques reliant l’Afrique à l’Europe et au reste du monde.
Du point de vue du droit international, ces interventions posent des questions fondamentales quant à la légalité de l’usage de la force au-delà des frontières nationales. La Charte des Nations Unies interdit clairement toute intervention dans les affaires internes des États, sauf dans deux cas : la légitime défense ou une autorisation explicite du Conseil de sécurité. Or, les grandes puissances contournent souvent ces contraintes en s’appuyant sur un nouvel argumentaire juridique centré sur le concept de « responsabilité de protéger ». Développée à la suite du génocide rwandais (1994) et des atrocités dans les Balkans, cette doctrine confère à la communauté internationale non seulement le droit, mais aussi l’obligation d’intervenir lorsqu’un État se révèle incapable de protéger ses citoyens contre des crimes de masse. Bien qu’elle repose sur des motifs humanitaires, son usage dans le contexte africain tend de plus en plus à justifier des interventions visant, en réalité, à remodeler les équilibres régionaux en fonction des intérêts stratégiques des puissances.
Sous l’angle géopolitique, force est de constater que les interventions extérieures au Sahel contribuent davantage à attiser les conflits qu’à les résoudre. La rivalité entre les États-Unis et la France, d’une part, et la Russie et la Chine, d’autre part, engendre une polarisation régionale accrue. Plutôt que de bâtir des stratégies communes de lutte contre le terrorisme et de promotion du développement, le Sahel se transforme en champ ouvert à la confrontation et au règlement des comptes internationaux. Les faits démontrent que la militarisation des crises n’a pas conduit à la stabilisation de la région, mais a, au contraire, fragilisé davantage l’État-nation et créé des vides sécuritaires dont profitent les groupes armés pour s’étendre. Certaines études soulignent même que la compétition pour le contrôle des ressources naturelles – en particulier l’or et l’uranium – alimente directement les conflits locaux, dans la mesure où les communautés marginalisées cherchent à s’approprier ces richesses par la force, entraînant ainsi la formation d’alliances inattendues entre réseaux de contrebande, mouvements rebelles et organisations terroristes.
Dans ce contexte, une interrogation s’impose : les interventions extérieures au Sahel traduisent-elles un engagement juridique et moral, ou ne constituent-elles qu’une manifestation de l’appétit hégémonique et du désir de puissance ? Les dynamiques actuelles révèlent une imbrication complexe entre le droit et la politique, où la dimension humanitaire cède souvent le pas aux logiques stratégiques. Le principe juridique de souveraineté se trouve directement confronté à la doctrine de la « responsabilité de protéger », laquelle tend à devenir un instrument d’intervention sélective, appliqué de manière opportuniste selon la compatibilité des crises avec les intérêts des grandes puissances.
En définitive, les interventions extérieures dans le Sahel africain illustrent, de la manière la plus flagrante, la crise du système international. Elles révèlent, d’un côté, les limites du droit international dans sa capacité à réguler le comportement des États, et de l’autre, confirment que les impératifs géopolitiques demeurent le moteur principal des politiques mondiales. Le véritable défi réside aujourd’hui dans l’élaboration d’une approche novatrice pour encadrer les interventions internationales, une approche qui concilie respect de la souveraineté des États africains et réponse aux exigences de sécurité et de stabilité régionales. Une telle perspective ne saurait voir le jour sans un renforcement du rôle des institutions africaines régionales et une réhabilitation des solutions politiques et développementales, en lieu et place des seules approches sécuritaires et militaires.
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