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Amnesty dénonce « une attaque sans précédent » contre la liberté d’expression au Maroc

DROITS DE L’HOMME – Des journalistes et des manifestants derrière les barreaux, des violations des droits de l’Homme impunies, une force excessive contre les migrants, des condamnations à mort prononcées par les tribunaux. Amnesty international dresse un bilan des plus inquiétants sur la situation des droits de l’Homme au Maroc en 2017.

C’est ce qui ressort du rapport annuel 2017/2018 que l’ONG internationale a présenté, ce jeudi 22 février, lors d’une conférence de presse tenue à Rabat. Dans plus de 488 pages, Amnesty International fait le tour du monde à travers 159 pays, dont le Maroc, pour évaluer le respect des droits de l’Homme.

« Le nombre de détentions liées au Hirak du Rif dépasse les 400. Quant aux condamnations à leur encontre, les peines ont atteint 20 ans de réclusion. Et cela, pour nous, dénote d’une aggravation de la situation au Maroc de l’après justice transitionnelle », déclare le directeur général d’Amnesty international au Maroc, Mohamed Sektaoui.

Rif: arrestations et condamnations « abusives »

Dans le Rif, indique le rapport, « les forces de sécurité se sont livrées à des arrestations massives de manifestants majoritairement pacifiques, dont des mineurs, et ont parfois eu recours à une force excessive ou injustifiée ». Quant aux condamnations, elles se fondent « sur des déclarations obtenues sous la contrainte, selon les prévenus », affirme le rapport, soulignant que les allégations de mauvais traitement et de tortures des détenus ne font pas l’objet « d’enquêtes sérieuses ».

Amnesty international indique aussi que « les autorités judiciaires n’ont pas enquêté sérieusement sur les circonstances de la mort de deux manifestants: Imad El Attabi et Abdelhafid Haddad, en août ».

Dans son rapport, l’ONG évoque surtout l’arrestation de 8 journalistes et blogueurs ayant publié des articles ou des commentaires critiques liés aux manifestations dans la région. « Le parquet les a inculpés d’atteintes à la sûreté de l’État en lien avec le mouvement de contestation », s’indigne l’ONG. Et de citer, entre autres, le cas de Hamid El Mahdaoui, qui a été reconnu coupable d’incitation à participer à une manifestation non autorisée (le 20 juillet 2017), et condamné à trois mois de prison ferme assortie d’une amende de 20.000 dirhams. Une peine alourdie, quelques semaines plus tard, en appel, à un an de prison ferme.

Autre exemple, l’ONG évoque le procès qui concerne 7 personnes, dont des journalistes, des militants et l’universitaire Maâti Monjib. Plusieurs accusations pèsent sur ce groupe, dont « l’atteinte à la sûreté de l’État » pour avoir, précise le rapport, « fait la promotion d’une application mobile de journalisme citoyen protégeant la confidentialité de ses utilisateurs ».

Associations dans la ligne de mire

« Nous vivons dans une situation réellement négative pour la liberté d’expression », constate Mohamed Sektaoui, légitimant l’inquiétude croissante de l’ONG qui note dans son rapport des restrictions à l’encontre d’associations. « Les autorités ont notamment continué de bloquer l’enregistrement d’associations, interdit les activités de certaines organisations et expulsé des étrangers invités par celles-ci », indique Amnesty international.

Pour étayer ce constat, elle souligne que « plusieurs centaines de militants ayant participé à des manifestations en faveur de la justice sociale et environnementale ont été condamnées à des peines de privation de liberté pour des infractions relatives aux rassemblements ». Et d’ajouter que « les tribunaux ont entamé des procédures pénales de droit commun contre des manifestants sur la base d’accusations forgées de toutes pièces, et ont invoqué des dispositions relatives à la sûreté de l’État et au terrorisme formulées en termes vagues pour juger certains d’entre eux ».

Pour l’ONG, les recommandations émises par l’Instance équité et réconciliation (IER), mécanisme de justice transitionnelle, sont restées lettres mortes. Amnesty international estime que « les autorités n’ont pris aucune mesure pour remédier à l’impunité dont bénéficiaient les auteurs de graves violations ».

Réfugiés abandonnés

Sur la question des réfugiés, pas d’amélioration non plus. L’ONG souligne, dans son rapport, que le Maroc n’a pas adopté de loi relative à l’asile. « Les demandeurs d’asile et réfugiés enregistrés auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ont reçu des documents les protégeant contre le ‘refoulement’ (renvoi forcé dans un pays où ils risquent de subir de graves violations des droits humains), sans qu’une décision soit prise sur leur statut définitif ».

Et de rappeler que « 25 réfugiés syriens ont été abandonnés à leur sort pendant trois mois dans la zone tampon à la frontière avec l’Algérie, avant que les autorités ne leur accordent une protection en juillet ».

Les expulsions des migrants et de demandeurs d’asile depuis Sebta et Melilla vers le Maroc sont, elles, jugées « sommaires » par Amnesty international estimant que « les forces de sécurité ont continué d’employer une force excessive ou injustifiée à leur encontre ». L’association ajoute que des migrants, dont certains avaient entamé des démarches pour régulariser leur situation, ont été emprisonnés pour être entrés sur le territoire marocain, y avoir séjourné ou en être sortis de façon irrégulière. L’ONG précise qu’ »ils ont parfois été jugés sans pouvoir bénéficier des services d’un avocat ».

Homophobie

Au volet droits sexuels, le constat de l’ONG internationale ne fait état d’aucune évolution. « Comme les années précédentes, des hommes ont été incarcérés aux termes de l’article 489 du Code pénal, qui érige en infraction les relations sexuelles consenties entre personnes du même sexe », note-t-elle dans son rapport. Et de souligner qu’ »au moins deux hommes ont été condamnés à six mois d’emprisonnement au titre de cet article ».

Amnesty International ajoute que des victimes d’agressions homophobes vivent dans « la peur de se rendre au commissariat pour porter plainte à cause du risque d’arrestation découlant de l’article 489 ».

« Les défenseurs des droits de l’Homme paient un lourd tribut », regrette le directeur général d’Amnesty international au Maroc. L’ONG tient, dans son rapport, à leur rendre hommage: « Des millions de femmes et d’hommes se sont dressés contre l’injustice et ont réclamé que leurs voix soient entendues, et leurs droits respectés faisant rayonner leur courage et leur détermination dans ces sombres circonstances ».

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