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Au Maroc, l’espoir peut-il attendre

Au Maroc, depuis l’avènement en avril 1998 de ce qu’on appela l’alternance, par abus de langage ou excès d’espérance, le volume des attentes socio-économiques et culturelles ne cesse de croitre et de s’amplifier.

Pour les prendre en charge graduellement, mais surement, l’actuel gouvernement se doit de croiser le fer avec cette triade maléfique formée par la pauvreté, l’analphabétisme et la corruption ; triade dont la prégnance est à l’origine de tant d’échecs, de désenchantements et d’occasions perdues, et contre laquelle ne peut faire long feu, à elle seule, une réforme du code électoral ou des dispositions législatives et constitutionnelles.

Pis encore, si rien n’est fait pour réduire son emprise, le jeu démocratique, même dûment mené, peut devenir le fossoyeur des démocrates eux-mêmes et ouvrir la voie à toutes les dérives, intégristes, mafieuses et autres.
Si nos acteurs et décideurs actuels doivent affirmer en chœur face à ladite triade : plus jamais çà, ils auront nécessairement pour tâche primordiale de s’engager résolument dans l’indispensable fondation non seulement de l’Etat de droit, mais aussi et conjointement du Welfare State, selon ma bonne appellation des anglo-saxons.

Engagement qui, pour ce faire, nécessite une volonté à toute épreuve, assortie d’un courage politique constant, et donc l’hommes hors-pair, vigoureux et créatifs. Or, globalement, ce cas de figure n’est pas encore vraiment à l’œuvre dans notre gouvernement d’alternance composite-coalition de sept partis oblige, et auquel on a fait subir au début de septembre dernier un mini-lifting dont on ne peut apprécier le bien-fondé qu’au vu des résultats tant attendus sur le terrain des actes performants et concrets.

Faute de quoi les déçus de l’alternance, qui sont déjà légion, n’auront pas tort de dire que ce remaniement ne fut qu’un pis-aller et une diversion, bref un non-événement.

Donc jusqu’à présent, force est de constater que les déficits et les défis majeurs sont toujours là, têtus et menaçants : le quasi blocage des grandes réformes que n’arrive pas à dissimuler le train-train des déclarations d’intention et des petits changements plutôt symboliques ou à dose homéopathique ; une politique économique trop soucieuse d’équilibre budgétaire et de désinflation, et plutôt timorée et frileuse en matière d’investissement et de création d’emplois, enfin et surtout la persistance de ces classements et chiffres de malheur qu’on ne connait que trop dans plusieurs secteurs socio-économiques, et que nous recevons comme autant de coups de poing dans le plexus, classements et chiffres que nous confirment des rapports d’organismes internationaux, notamment le PNUD et la Banque Mondiale (le dernier rapport de celle-ci, plus alarmant que les précédents, remonte à juin 2001).
Quant aux nœuds du mal marocain, en voici les plus saillants :

• Devenu une véritable aporie et une plaie grande ouverte dans le tissu économique, le chômage multiforme (21,8% en 1999) touche aussi de plein fouet les contingents de diplômés qui arrivent continuellement sur le marché du travail avec des chances d’embauche plus qu’aléatoires dans le secteur privé, et de plus en plus minces dans la fonction publique (qui absorbe 11,6% du PIB). L’Etat, qui n’a pas l’air de s’intéresser concrètement à leur sort, ne leur propose que des expédients et palliatifs, lesquels ne tiennent vraiment pas la route dans une économie nationale à faible croissance et insuffisamment créatrice et d’emplois.

• Un taux de croissance stagnant dans une moyenne de 1,9% entre 1991 et 1998 (il est de -0,1 en 1999), et qui dans tous les cas se trouve précarisé par une démographie encore élevée (1,8 par an) et une énorme dette extérieure (de quelques dix-sept milliards de dollars), ainsi que par les aléas de l’agriculture qui continue à occuper une position névralgique dans l’économie marocaine globale, et donc à frapper de contingence le décollage souhaitable de celle-ci. Ce qui occasionne la floraison d’une économie souterraine (contrebande, culture du hachich), ainsi qu’un flux migratoire, vers les périphéries des centres urbains ou vers les pays du mord de la méditerranée.

• Au-delà des signes, et au miroir d’une politique du « faire », il faut relever la rareté d’actes forts exprimant l’engagement du gouvernement dans des réformes urgentes pour rendre notre enseignement public fiable, crédible et de plus en plus performant… Et pourtant, c’est là un chantier vital et des plus prioritaires qui devrait solliciter toutes les forces vives, et notamment le corps des enseignants-chercheurs et des intellectuels, qui furent, en tant que tels, presque absents de la Commission nationale pour une Charte de l’Enseignement.

• En outre, le paysage audio-visuel reste toujours, et jusqu’à preuve du contraire, égal à lui-même, c’est-à-dire à sa sempiternelle médiocrité éducative et informationnelle. Quant à la culture, elle n’y figure que comme parent pauvre et élément souvent occulté, voire écrasé par une surmédiatisation du politique.
Quatre décennies d’inalternance, suivies d’une expérience d’alternance mi-figue mi-raisin, avec des promesses de grandes réformes qui tardent à se produire, des signes rarement suivis d’effets, des problèmes épineux de premier ordre qu’on se contente encore de traiter à coup de colloques, de commissions et de conseils : on n’aurait pas été loin des mauvais présages de la déconfiture (ou « désalternance ») si un renouvellement de la monarchie avec un jeune roi dynamique et démocrate convaincu ne venait presque à la rescousse de l’expérience de l’alternance, que le Premier Ministre M. A. Youssoufi baptise gaiement « l’alternance bis ».

C’est avec cette nouvelle donne qu’on peut enfin réfléchir et parler de modernité en tant qu’impératif existentiel et ensemble de valeurs ajoutées, traductibles en termes de progrès globaux et sensibles, aussi bien dans le potentiel matériel et économique que dans les mentalités et les conduites. Immense chantier, la modernité, n’est autre que la mise en œuvre des structures d’accueil et de bon fonctionnement de la civilisation. « A jamais démodée », selon une brève définition de J. Attali, la modernité, qui est par nature ouverte et non-nihiliste, ne s’attaque à la tradition et au passé que dans la seule et unique mesure où ils bloquent le présent en le privant d’avenir, et que « les mors, comme disait Marx, saisit le vif. » A part cela, les modernistes auront beaucoup à perdre s’ils se comportent en prosélytes zélés de la modernité comme nouvelle religion, et qui, sous le couvert de la lutte contre l’intégrisme, jettent dans les poubelles de l’Histoire l’islam culturel et l’islam tout court, ou bien, prenant appui sur les difficultés de la ré-arabisation s’acharnent à trainer dans la boue de la haine et du mépris la culture dont la langue arabe est le support symbolique et le réceptacle historique.

Ainsi donc, une fois policée par les nécessaires principes de précaution et de conception, la modernité, comme objet d’un immense espoir, devrait obéir à quelles conditions pour devenir un processus continu tant cumulatif que qualitatif, et une réalité positive vécue à l’échelle individuelle et collective, privée et publique ?

Puisque ces conditions sont en quelque sorte proportionnelles au nombre élevé des requêtes et doléances, et aux multiples attentes non satisfaites, nous nous devons de nous en tenir à certaines parmi celles qui s’inscrivent dans une durée-cadre et interpellent l’avenir :

1- Une « démakhzenisation » en douceur du pouvoir : à même de le dessaisir progressivement de tout un arsenal médiéval de pratiques symboliques et administratives, qui fut d’ailleurs généralement mal perçu par les populations du Maroc d’hier, et que la sagesse populaire rurale assimilait, quant à ses dangers, aux inondations et aux incendies. Présentement, la persistance d’un tel arsenal – avec ses agents qui sont d’un autre âge – ne peut que prendre à revers tout désir de modernité ou mettre les démocrates mal à l’aise, voire en porte à faux et dans un rapport inauthentique et biaisé avec ce que le monde développé et de plus en plus globalisé génère en matière de nouvelles formes de gouvernance et de droits humains.

« Démakhzenisation » veut dire clairement, en finir avec les anciennes conceptions de l’autorité dérivées d’une vision asservissante des sujets, ainsi qu’avec toute forme de « servitude volontaire » et égoïstement intéressée, et donc avec tout système de clientélisme, de népotisme et de fidélisation par les prébendes et les passe-droits.
Système qui a produit tout au long de son histoire des catégories d’hommes liges, de thuriféraires patentés et de fonctionnaires d’Etat obséquieux, tous rompus à l’affairisme cynique et à l’arrivisme appuyé aux postes-tremplins et aux compromissions.

« Démakhzenisation » disons-nous, d’ailleurs n’est-ce pas dans ce sens qu’il faudrait lire, entre autres gestes forts, l’appel de Mohammed VI pour une nouvelle conception de l’autorité, ainsi que son ordre d’affecter à des œuvres caritatives le budget prévu pour les festivités du premier anniversaire de son intronisation, et enfin le renoncement même non proclamé aux chansons dithyrambiques… Et il y a lieu d’espérer que d’autres gestes assainissants et salutaires suivront à un rythme fort et soutenu.

Dans ce nouveau sillage, ouvert à l’éradication de l’irrationnel et à la réhabilitation des potentialités et des compétences, deviendront obsolètes et inopérantes les théories segmentaristes du « Makhzen » et de la vie politique marocaine, que des chercheurs anthropologisants français, anglosaxons et même nationaux, tendent à traiter comme un ensemble de curiosités historiques, et à fixer dans des essences et des fonctions immuables et spécifiques. Et du même coup aussi, perdront leurs choux gras et leurs raisons d’être tous les brûlots et pamphlets politico-journalistiques qui, substituant la langue de feu à la langue de bois, s’adonnent à cœur joie au traitement d’un Maroc comme pays pétri d’archaïsme, d’aberrations et de contre-preformances
La démakhzenisation aura aussi une retombée positive et non des moindres sur les partenaires politiques, entre lesquels elle permettra enfin d’instaurer un régime de civisme et de confiance, garanti et géré par la démocratie comme pacte et philosophie. Et c’est l’unique voie non seulement pour intégrer la mouvance islamisante non violente, mais aussi pour dissoudre définitivement le traditionnel nœud de méfiance et de suspicion du pouvoir à l’égard des forces de progrès et de modernité. Car, c’est ce nœud qui fut à l’origine de la politique du tout sécuritaire, et donc de l’émergence de « l’homme fort » comme figure omnipotente et foncièrement anti-démocratique, n’ayant à opposer à l’Etat de droit qu’un système de débauchage, de corruption et de concussion ; d’où la prolifération de « partis administratifs » fantoches sans légitimité populaire aucune, ne disposant que du pouvoir maléfique de l’argent, assorti de très forts penchants à passer outre les garde-fous et les prescriptions aussi bien de la loi que de la foi ; d’où, depuis 1963 jusqu’à 1997, la série noire des élections régulièrement tripatouillés et troquées. La dernière figure en date dudit « l’homme fort » (et il y a lieu d’espérer qu’elle soit la dernière) est l’ex-ministre de l’intérieur, le très impopulaire Driss Basri.

La prépondérance de la névrose sécuritaire a eu dans l’histoire du Maroc indépendant des effets néfastes durables, dont l’un et non des moindres est de l’avoir privé d’hommes de premier plan, tel le grand disparu Mehdi Ben Barka que feu Hassan II, tout en lui reprochant son impatience, décrit en ces termes saisissants que voici : « Il parlait d’un ton enflammé, avec un débit rapide et une intelligence qui lui sortit des yeux, du nez, des oreilles, des doigts. C’était une belle mécanique intellectuelle, une personnalité attachante, un tempérament bouillant, sthénique, le contraire l’asthénique » (La Mémoire d’un Roi, p. 108).

Certes, il ne s’agit nullement de réclamer à cor et à cri la mise en équation de la monarchie, ni de, mettre totalement en question les prérogatives constitutionnelles du Roi. En revanche, il est à souligner que la monarchie marocaine, forte de sa légitimité historique, et surtout de sa volonté de justice et de son option démocratique, ne pourra naturellement être qu’avec le peuple (demos) et donc engagée aux côtés des partis et des forces qui en sont le fer de lance et les représentants.

2- Démocratiser la vie des partis : notamment ceux (comme l’USFP) dont la longue histoire se confond avec leurs luttes pour l’ancrage de la démocratie dans le terroir politique national. Demandeurs intrépides de celle-ci, ils sont en devoir de la pratiquer en leur sein et d’en donner l’exemple, afin de se prémunir contre tout esprit de nomenklatura et toute dérive gérontocratique, sources de léthargie et d’immobilisme.

Le dernier congrès de l’USFP remontant déjà à plus de dix ans, il y a lieu de dire que les reports à répétition de son 6e congrès ont peut-être leurs raisons, mais que la raison a de la peine à admettre.
N’étant pas un simple tremplin, comme chacun sait, et encore moins un machin ; un parti, une fois arrivé au pouvoir, reste aussi comptable de sa politique gouvernementale devant ses instances et ses militants. Faute de quoi, on lui fait courir des risques de sclérose et de fissuration, ou à tout le moins ceux d’un train de vie cahin-caha. Si la tenue du congrès de l’USPF – à en croire les préparatifs – semble imminente, il aura bon nombre de difficultés et de contradictions internes à surmonter, de choix stratégiques à redéfinir ou a élucider, et ce afin de se délester de son embourgeoisement rampant, de réactiver ses ressorts défaillants et de reconquérir son ancrage populaire d’antan.

Certes, la nécessaire démocratisation interne des partis n’incombe pas à la seule mouvance de gauche, elle concerne encore plus les partis de droite, dont la plupart pâtissent encore du complexe de Néron et s’empêtrent sous l’actuelle « alternance » dans le ressentiment et l’esprit revanchard, autant de déficits moraux et de blocages psychologiques qui empêchent l’émergence d’un véritable pôle de droite dont, d’ailleurs, l’équilibre et l’alternance dans la vie politique marocaine ont grandement besoin. A défait de pouvoir se constituer en un pôle fort, idéologiquement et politiquement crédible, les partis de droite continueront à mener la vie qui est encore la leur : celle de rentiers-usurpateurs et de lobbies de nuisance et de désactivation.

3- Revaloriser le rôle des intellectuels. Pourquoi nos intellectuels dans leur ensemble brillent plutôt par leur quasi-absence de la scène politique et des débats sur la chose publique ? Est-ce parce que bon nombre parmi eux se condamnent à la déconnexion en sombrant dans les méandres des monographies régionales ou sectorielles, quand ce n’est pas, par exemple, dans les analyses extatiques des Mille et une nuits ? Quoi qu’il en soit, ceux qui ont trop longtemps « couché avec la peur » se font une raison pour se vautrer dans l’indifférence et l’apathie, ne réclamant plus pour ceux que bien-être et paix. Quant à ceux qui ont les moyens d’instituer une culture critique, ils finissent, sauf rares exceptions, soit par se perdre en conjectures, répondre en normand et traiter les grands problèmes en langue de bois, soit par opérer quelques sorties sporadiques tonitruantes, dont les auteurs, broyant du noir, ne font que proférer des paroles polémiques à effet politique presque nul.
Cependant, n’incriminons pas trop nos intellectuels. Peut-être que dans la géologie politico-sociale de notre milieu, il y a une réelle difficulté à être intellectuel, c’est-à-dire conscience critique du monde tel qu’il va (Gramsci, Benda), créateur et artisan dans la longue durée (Arendt), celui qui, selon ses moyens et capacités, conçoit la vérité et la dit au pouvoir ou à un public donné (E. Saïd, N. Chomsky), etc. C’est dire que nos intellectuels de gauche ont maintenant, plus que par le passé, du pain sur la planche pour exercer positivement leur vocation et leur fonction première. Et ce n’est pas parce que leurs amis politiques sont au pouvoir qu’ils devront geler ou revoir à la baisse leur sens critique et leur devoir de vigilance.

Dans la nouvelle situation politique au Maroc, les intellectuels ont tout intérêt à sortir de leur isolement et de leur torpeur. Hommes et femmes de gauche, ils devront penser et agir comme si la démocratie était d’ores et déjà une réalité palpable et un acquis irréversible, comme si la société civile les sollicitait et les soutenait… Si par malheur, de telles hypothèses libératrices se trouvaient contrariées ou bafouées, c’est que notre démocratie n’est encore qu’une chose immature et une parade, c’est que nos institutions politiques modernes ont encore maille à partie avec les zones obscures de notre moyen âge, sur lesquelles Ibn Khaldoun a laissé des pages très éclairantes. Dans ce cas-là, nos intellectuels, souffrant déjà de graves difficultés émanant de lignes de fractures référentielles et linguistiques, n’auront alors plus droit au chapitre, et leurs paroles ne pourront plus raisonner pour les acteurs et décideurs politiques que comme des pets de lapin… Faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour conjurer l’avènement d’une telle situation si pénible et désastreuse.

Pour ma part, dans la conjoncture favorable actuelle, j’attends donc, sur le plan culturel, que soit menée une politique de rassemblement, ou mieux de remembrement de nos forces créatrices au sein de réseaux d’accueil et d’émissions, autrement dit de communication ; car, sans un tissu ou un territoire mental homogène quant à ses codes et à son principe de vie, plural quant aux fonctions de ses membres, notre existence culturelle connaitra toutes les affres de la fragmentation et du délabrement… J’attends aussi que soit mis en œuvre une dynamique de revivification de l’intérêt de nos intellectuels pour la cité et la chose publique. Et ceci passe nécessairement par une volonté politique de les mettre en situation de donner le meilleur d’eux-mêmes, et donc par une revalorisation de la matière grise dont notre intelligentsia est largement dépositaire.

« Démakhzeniser » le pouvoir en vue d’instaurer un régime de civisme et de démocratie, démocratiser la vie des partis, revaloriser le rôle des intellectuels : telles sont les quelques conditions nécessaires pour un ancrage du Maroc d’aujourd’hui dans le processus de modernité et de progrès.

Une autre condition mériterait à elle seule un traitement ad-hoc, c’est celle de « l’intégration de la femme dans le développement » dont l’ex-secrétariat d’Etat à la protection sociale de l’actuel gouvernement a élaboré un texte sous forme de projet, qui fut m’objet de positions et de grandes manifestations de rue opposées, et qui ont pu donner la mesure des distorsions mentales et référentielles au sein de la société… Souhaitons seulement que sur un sujet aussi crucial, la question de la femme ne devienne pas un simple enjeu de politique politicienne, ni une chasse gardée pour des jurisconsultes bornés et inadaptés ou pour des pan-féministes à tous crins, partisans démagogiques de la parité tous azimuts. La cause de la femme, baromètre du développement de toute société, est une chose trop complexe et sérieuse pour la confier exclusivement aux uns et aux autres. Car dans les temps modernes, en plus de la jurisprudence, elle sollicite aussi le concours de plusieurs disciplines (sociologie, psychologie, médecine…) et interpelle les forces vives du pays et les instances de législation et d’arbitrage émanant aussi bien des traditions humanistes de l’Islam que des chartes et accords internationaux.

Sous l’impulsion de la nouvelle « social-monarchie », l’espoir, tel le Phénix, devra renaître de ses cendres, conjurer les risques d’entropie et entrainer dans sa dynamique toutes les entreprises citoyennes et toutes les forces de modernité et de progrès à même de fortifier les conditions d’irréversibilité du processus en cours, et de répondre corps et âme à l’impératif de résolution de cette grande équation pour leur pays : la mise à niveau du Maroc en vue de son développement humain interne, et la valorisation de son image comme partenaire fiable et crédible, tant sur le plan européen pour l’échéance 2010 qu’à l’échelle des prochains actes de l’OMC. L’idéal étant, en tout état de cause, de faire du Maroc un pays-pilote et une référence-phare pour le Maghreb et l’ensemble du monde arabe.

Notes additives
Si nos partis et nos acteurs politiques reconnaissent leur besoin en une force de réflexion et de proposition, ils ne peuvent dans une bonne mesure y répondre qu’auprès de ces figures de l’élite exigeante, ces partisans de l’éthique et de la culture humaniste que sont les intellectuels engagés. Dans la situation présente, ces derniers peuvent promouvoir, en les tirant vers le haut, des propos et indicateurs pour la grande mutation à laquelle on est en droit d’aspirer. En voici quelques brefs énoncés :

• Dans le texte de la Constitution (révisée par référendum du 13 septembre 1996, des articles gagneraient plus à être réactualisés ou explicités en vue d’un réajustement modernisant du pouvoir monarchique (incarné par le nouveau souverain) et des pouvoirs exécutif, législatif et judicaire.

• La démocratie maintenant ! Si telle est notre exigence prioritaire, le Roi, de par la Constitution (art.1 et 19), est le meilleur garant de l’avènement irréversible de la démocratie, de son ancrage et de son fonctionnement.

• Si notre démocratie est, comme le clame souvent, en état de transition et donc de fragilité (et on ne sait pas pour combien de temps encore), il serait plus raisonnable – au nom du principe de précaution – de penser que la Chambre des conseillers, par exemple, est une excroissance dont le Maroc peut bien se passer, et que la sagesse, sur le plan législatif est, faute de mieux, dans le retour au statu quo ante, et ce en attendant des jours meilleurs.

• Que le développement humain qualitatif et concret est le seul vrai paramètre de la croissance économique, de sorte que celle-ci, même avec des taux élevés, peut s’avérer socialement inopérante si les gens continuent massivement à aller mal, et si aucun changement significatif n’affecte le Maroc de la ruralité pesante et tentaculaire, de la grande pauvreté, du chômage et des bidonvilles, c’est-à-dire le Maroc de l’oppression et du non-respect des droits humains.

• Que l’action caritative, officielle ou privée, si louable soit-elle, ne doit être considérée que comme un palliatif extra-économique au regard de toute politique de développement rigoureuse et normative.

• Que le grand défi pour le Maroc moderne réside dans la mise en chantier d’un pays attractif et fréquentable, d’abord pour ses citoyens, tant sur le plan socio-économique que sur celui de la démocratie et de la culture. Et si par malheur ce défi venait à faire échec à notre intelligence, la fuite des capitaux et des cerveaux s’érigerait en phénomène endémique, les contre-performances abrasives empireraient, et nous courrions le risque de mener une existence historique au rabais, atone, servile, etc.

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