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Pour un nouvel élan à l’investissement au Maroc

Les investissements jouent un rôle primordial dans l’économie. Ils ont un effet expansif sur l’activité et l’emploi et doivent préparer le Maroc aux grands défis de demain que sont notamment la transition écologique et énergétique, la révolution numérique, mais aussi la pluralité des horizons de l’économie politique en favorisant le développement également de l’autre économie (économie sociale et solidaire, économie populaire…) à côté de l’économie de lucre et de marché.

Face à ces défis, il est indispensable de poursuivre et développer une politique d’investissements ambitieuse.

Le Maroc enregistre un déficit d’investissement tant sur le plan quantitatif que qualitatif, ce qui risque d’enfermer son économie dans un cercle vicieux de croissance molle peu créatrice d’emplois, avec des perspectives moroses de profitabilité des entreprises, les poussant à revoir à la baisse leurs plans d’investissements. Ce cercle vicieux interne se combine avec un autre cercle vicieux tout aussi indésirable vis-à-vis de l’extérieur, reliant la faiblesse de la compétitivité à celle de la productivité, à cause notamment d’un stock de capital par tête insuffisant et aux limites du capital humain.

Il n’y a pas de réponse simple à la question des mérites respectifs des incitants ciblés et des incitants généraux à l’investissement. Si l’autorité publique privilégie l’efficience, elle optera pour un incitant ciblé. Elle sera cependant attentive aux éventuels problèmes de gouvernance que peut poser ce choix pour des aides publiques discrétionnaires. Si elle donne la priorité à la neutralité, elle choisira l’incitant général. Cette option a toutefois un double prix : une perte d’efficience et un windfall gain pour l’apporteur de capital, sans que l’avantage public ne stimule une quelconque dépense additionnelle de capital.

Or, la décision d’investir découle d’un certain nombre d’arbitrages :
1) le rôle attribué à l’État et l’échelon d’interdépendance/ remplacement entre l’investissement public et privé ;
2) les critères de choix des projets financés par l’impôt et sur les incitations fiscales et non fiscales assignées à conduire l’investissement privé ;
3) sur les modalités de financement de l’investissement public ainsi que sur le rôle du système bancaire dans ce financement
Comme les dernières décennies ont montré l’incapacité de la régulation par le marché à maîtriser les conjonctures dont le coût social devient exorbitant, les pouvoirs publics et le secteur privé doivent co-construire une politique d’investissements ambitieuse. Les efforts d’investissement doivent être aussi compatibles avec une plus grande maîtrise de l’endettement tant public que privé.

Pour un investissement public optimal
Afin de concilier discipline budgétaire et hausse de l’investissement public, il importe de promouvoir une meilleure sélectivité dans le choix des projets en privilégiant les dépenses susceptibles de stimuler, à la fois, la croissance de long et de court terme par un dosage optimal entre les deux, et de maximiser l’effet de levier sur l’investissement privé. C’est ce qu’on appelle l’investissement public utile ou optimal ou encore ciblé dans des secteurs à fortes externalités positives (infrastructures, innovations, capital humain, etc.) à travers l’adoption de règles traitant de façon différenciée un certain nombre d’investissements immatériels (formation, recherche & développement, etc.) ou ayant trait à la transition écologique.

Quant au financement de l’investissement public, il pourrait être assuré par la croissance économique engendrée par la dynamique enclenchée par les nouveaux investissements
Une meilleure efficacité passe également par le renforcement des études d’impact et des outils d’évaluation existants. Elle suppose l’amélioration de la gouvernance (mise en place d’une instance de gouvernance transversale aux différentes institutions publiques et départements ministériels), l’exploration de nouveaux modèles de coopération public-privé, engager une commande publique responsable et étendre aux investissements des collectivités locales l’obligation d’évaluation.

A ce propos, une commande publique responsable (les marchés publics, les contrats de gestion déléguée et les contrats de partenariat public-privé ont représenté 160 à 195 milliards de DH entre 2011 et 2018, soit l’équivalent de 17,4% du PIB), passe par :

– l’amélioration de la professionnalisation de la fonction achat;
– faciliter l’accès des TPE/PME à la commande publique par divers leviers tels que : la généralisation de l’allotissement et le dispositif de Marché Public Simplifié, une amélioration des conditions de paiement, etc.. ;
– encourager et développer les schémas de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (SPASER).

Renforcement de l’investissement social
Renforcer l’investissement social destiné à améliorer le capital humain et agir de manière préventive sur les inégalités participerait également à une plus grande efficacité des politiques publiques :
• renforcer l’investissement dans l’accompagnement vers l’accès et le retour à l’emploi en développant l’insertion et la qualification (formations initiale et professionnelle) ;
• activer des politiques de prévention et d’insertion à l’attention des jeunes et des enfants pour s’extraire des « trappes à pauvreté» et éviter le déterminisme social ;
• consolider les dépenses dans les formations initiales et continues pour toutes et tous, appuyée par une meilleure gestion et une analyse prospective des besoins dans la branche et/ou l’entreprise.
• résorber le déficit d’investissement dans le périscolaire et l’enseignement supérieur …

Soutien aux écosystèmes territoriaux
Les territoires et les régions en premier lieu, eu égard à leurs compétences économiques renforcées, devraient participer activement au soutien des écosystèmes territoriaux dans les bassins de vie. Il est recommandé, notamment, une meilleure articulation entre les politiques publiques centrales et les politiques publiques locales. Une attention particulière devrait être accordée à la réduction des fractures territoriales, en particulier pour les territoires ruraux, et de prendre en compte les territoires fragilisés par la désindustrialisation.
Préparation du système productif aux grands défis de l’avenir
Le redressement des secteurs industriels et la préparation du système productif aux grands défis de demain cécessite:
• La définition d’une véritable stratégie industrielle, co-construite par l’État, les entreprises et les partenaires sociaux. La gouvernance des futurs projets industriels devra être partagée et portée au plus haut niveau de l’État ;

• la mise en place d’un environnement favorable à l’investissement productif, à sa rentabilité et à son efficacité, porteur d’emplois, autant au travers des garanties de l’État que par des mesures orientant les crédits bancaires, l’épargne ou par une fiscalité appropriée ;
• l’augmentation de l’effort d’investissement en R&D publique et privée ;
• l’engagement plus volontariste de l’économie marocaine dans la transition écologique et énergétique par l’amélioration de l’efficacité énergétique, en particulier dans le domaine des bâtiments et des transports, tout en renforçant le déploiement des énergies renouvelables, pallier à l’étalement urbain/ allongement des trajets.
• l’investissement dans les capacités humaines.

Rétablissement du rôle des banques dans le financement du secteur productif
Le secteur bancaire marocain, structure oligopolistique, au lieu de financer les entreprises et notamment celles porteuses d’un potentiel de croissance à savoir les PME et TPME, se contentent de placer leurs liquidités dans les actifs les plus sûrs. En fait, l’État marocain encourage ce comportement des banques à courte vue, en recourant prioritairement au financement bancaire pour subvenir à ses propres besoins plutôt que de profiter davantage du marché des capitaux, qui pourrait conduire Bank Al Maghrib à figurer parmi les opérateurs.
Il s’avère nécessaire par conséquent de sortir du cercle vicieux de financement bancaire et d’aller vers une régulation du secteur qui relie constamment les profits des banques au degré de risque qu’elles prennent au sein de l’économie sachant que le chemin du développement est lui-même risqué et incertain et les banques ont également le devoir de parier sur un devenir positif de l’économie nationale.

Conclusion
Face aux enjeux de la transition écologique et énergétique, de la révolution numérique et la nécessité de lutter contre le chômage, il faudrait aussi renforcer fortement les moyens financiers et humains de promotion de l’investissement. Ce qui nécessite :
– un investissement public optimal ;
– la définition d’une véritable stratégie industrielle, co-construite par l’État, les entreprises et les partenaires sociaux ;
– la mise en place d’un environnement favorable à l’investissement productif et porteur d’emplois, à sa rentabilité et à son efficacité autant au travers de garanties de l’État que par des mesures orientant les crédits bancaires, l’épargne ou par une fiscalité appropriée ;
– l’augmentation de l’effort d’investissement en R&D publique et privée ;
– l’engagement plus volontariste de l’économie marocaine dans la transition écologique et énergétique ;
– l’investissement dans les capacités humaines ;
– investir dans l’autre économie dont l’Economie Sociale et Solidaire et l’économie populaire ;
– rétablir le rôle des banques de financement du secteur productif par une régulation moins laxiste du secteur et relier constamment les profits des banques au degré de risque qu’elles prennent au sein de l’économie…

Abderrahmane Mouline est chercheur au Centre d’Etudes et de Recherches en Sciences Sociales (CERSS )

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