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Discriminations au Maroc: Mères célibataires, migrants, homosexuels, même combat

Mères célibataires, migrants subsahariens, homosexuels… Toutes ces catégories ont pour point commun d’être victimes de discriminations. De toutes natures et à différents niveaux, celles-ci ont fait l’objet d’une étude menée par un collectif de 13 associations et organismes réunis dans le cadre d’un Conseil civil contre toutes les formes de discriminations. Initié par le Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (GADEM), ce Conseil civil, né fin 2016, a entrepris cette étude pour dresser l’état des lieux de ce phénomène. Chaque membre du Conseil civil a procédé à une évaluation sur la base de son action et de témoignages avant de réunir toutes les données recueillies dans un rapport d’une centaine de pages.

Présenté, ce vendredi 4 mai à Rabat, ce rapport, qui aura nécessité un an de travail, ne laisse aucun doute sur la gravité de la situation. “Nous avons estimé qu’il y avait urgence de procéder à un diagnostic des différentes formes de discriminations, parce qu’il y a un manque en matière d’études de ce genre”, déclare au HuffPost Maroc Mehdi Ataibi, membre de capitalisation du Conseil civil (unité coordinatrice du rapport) et de l’Institut Prometheus pour la démocratie et les droits humains (IPDDH –Rabat-Salé, membre du Conseil civil).

Ce que révèle l’état des lieux prouve que “les discriminations sont très diverses”. “C’est notre premier constat: les discriminations sont variées, mais aussi à caractère cumulatif et inter-sectionnel”, indique ce responsable, soulignant qu’il s’agit de trois paramètres faisant l’unanimité des témoignages recueillis par les 13 associations du Conseil civil.

Comportements “négatifs”

Le rapport soulève ainsi des discriminations dans les lois et les comportements. Sur ces derniers, l’étude fait un constat: “la présence des personnes en migration dans l’espace public au Maroc a engendré des comportements individuels et collectifs négatifs”. Et de préciser que la prévalence des stéréotypes entrave l’intégration sociale. “Souvent, certains tendent à penser que les personnes en migration ont toutes une situation administrative irrégulière ou qu’elles ont un niveau d’instruction très bas”, indique le Conseil civil. Pour ce dernier, les fausses idées font barrage au contact que pourraient avoir les deux parties. Ainsi, plus de la moitié (55%) des personnes interrogées dans cette étude déclarent entretenir “des relations moyennes” avec la population locale marocaine. En revanche, 23% disent être indifférents par rapport à cette question.

Le rapport souligne, par ailleurs, que “les personnes en migration se sentent prises comme cible de violence par les forces de l’ordre”. Et de préciser que “ce genre de comportements hostiles et agressifs accentue davantage l’isolement de ces personnes et leur donne un sentiment d’insécurité générale”.

Aussi, les immigrés restent-ils “sur la réserve car la menace est omniprésente dans l’espace public”. Au total, 92% des participants ont déclaré avoir fait l’objet de pratiques racistes. La couleur de peau est considérée par 23% d’entre eux comme la cause la plus importante du racisme. Tandis que 13% pensent que l’appartenance religieuse et ethnique est la principale raison qui se cache derrière les comportements discriminatoires, indique le rapport.

“Défense” d’accès aux soins

Discriminations, malgré leur diversité, elles sont marquées par la prédominance de celle liée au droit à la santé. “L’accès aux services de santé est vraiment très limité pour différentes populations, notamment les personnes usagères de drogue, les mères célibataires, les migrants surtout d’origine subsaharienne”, précise Mehdi Ataibi.

Entre autres exemples rapportés par le rapport, celui de l’association Hasnouna à Tanger ayant relevé que “les personnels soignants refusent aux personnes usagères de drogue l’accès à l’hôpital pour recevoir un traitement de substitution aux opiacées40 alors que la délivrance de ce traitement fait partie d’un programme du ministère de la Santé”

Le rapport souligne aussi que d’autres groupes d’individus “sont limités, voire privés de leur accès à la santé: les personnes homosexuelles et/ou trans courent le risque d’être dénoncées par les médecins”. Quant aux personnes trans, elles n’ont pas accès à certains traitements tels que les chirurgies de transition et les traitements hormonaux, d’après des faits relayés par le collectif Aswat (Rabat), membre du Conseil civil.

Un autre exemple relayé par l’association Asticude à Nador, montre que les personnes non ressortissantes marocaines noires font parfois face à des refus de soins, et les femmes célibataires – ou perçues comme telles, prennent le risque d’être dénoncées en venant accoucher à l’hôpital, selon l’association Anir à Agadir.

“Bien que la constitution du Maroc et ses engagements internationaux garantissent le respect des droits fondamentaux des personnes sans discrimination sauf quelques réserves liées à des valeurs culturelles/morales, la question de l’accès à ces droits apparaît dans toutes les thématiques traitées”, constate le rapport ajoutant au droit d’accès à la santé, celui d’accès à l’éducation, à la justice et à l’emploi.

“Travail inacceptable”

Au volet du travail dans le secteur domestique, le rapport souligne différentes “formes de travail inacceptable” basée sur “une triple discrimination que subissent les travailleurs/travailleuses domestiques basée sur: le genre, la classe sociale et l’invisibilité du travail domestique dans la société”.

Se référant aux témoignages recueillis par l’organisation Prometheus, le rapport relève que “la privation d’ordre juridique met en avant le manque d’accès aux droits fondamentaux pour les personnes travaillant dans le secteur domestique et informel”. Sans contrat de travail ni de protection sociale, leurs conditions de travail sont “parfois indignes”, constate le rapport, soulignant “l’insuffisance de la loi 19-12 dédiée au travail domestique rémunéré”.

Et à l’économique s’ajoute l’aspect social qui, pour ces associations, s’exprime par “une dévalorisation symbolisée par la non-reconnaissance du rôle des travailleurs/travailleuses domestiques”. Les stéréotypes aggravent l’état des lieux, ajoute le rapport, estimant que ces employé(e)s subissent dénigrement et humiliation.

Résultats: la vulnérabilité socio-économique des travailleurs/travailleuses domestiques est amplifiée. “Les travailleuses domestiques sont d’autant plus exposées aux violences (notamment sexuelles) et elles font face à plus de barrières sociales en matière de participation politique et économique ou en termes d’accès aux droits”, affirme le rapport.

L’association ALECMA (Rabat-Salé) rapporte que les discriminations envers des femmes travailleuses domestiques étrangères se multiplient. La protection des droits des femmes, et plus précisément des travailleuses domestiques représente une improbabilité, à en croire ce rapport. Et pour cause, ce dernier précise que malgré l’adoption de la loi n° 19-12 du 10 août 2016 (qui sera effective à partir d’octobre 2018) fixant les conditions de travail et d’emploi des travailleuses et travailleurs domestiques, l’égalité reste un principe et non une pratique. “La protection des droits des travailleuses domestiques restera corrélée au degré de diffusion, dans notre société, de la culture de l’égalité entre les sexes et des droits humains plus globalement, mais aussi des efforts à fournir par l’État en matière de lutte contre la précarisation socio-économique et contre la pauvreté multidimensionnelle”.

Lois discriminatoires 

Le rapport, qui a ciblé en grande majorité des populations connues pour être victimes de discriminations, s’est aussi penché sur certaines questions liées, entre autres, aux lois elles-même. “Parfois, la loi exerce une violence lorsque la discrimination est en lien avec un cadre juridique inégalitaire. Et dans d’autres cas, les discriminations sont plus sociales que juridiques. Mais, très souvent, ce sont les deux qui s’emboîtent”, indique Mehdi Ataibi.

Le rapport relève des dispositifs législatifs qu’il qualifie de “discriminatoires”, ainsi que “des textes juridiques contradictoires entre eux”. Le rapport révèle ainsi que les articles 483, 489, 490 et 491 du code pénal marocain “discriminent les personnes sur la base leurs pratiques sexuelles, leurs orientations sexuelles, identités et expressions de genre”. Par conséquent,  ces personnes sont privées, d’après le rapport, de la protection juridique en cas de discrimination, mais aussi des autres droits fondamentaux comme la santé, l’éducation et l’emploi.

Le rapport s’attarde, plus particulièrement, sur l’article 490 estimant son “impact discriminatoire important sur les enfants qui naissent en dehors du cadre du mariage”. “Il est très difficile de déclarer un-e enfant né-e hors-mariage à l’état civil” ce qui conduit à “une entrave du droit à l’identité des enfants”, souligne le rapport. Et d’ajouter que “si les mères font face à des comportements discriminatoires et des préjugés lorsqu’elles sont enceintes sans être mariées, leurs enfants sont eux/elles, directement discriminé- e-s”. Enfant sans identité officielle veut dire: aucune démarche administrative (s’inscrire à l’école, passer des examens, passer le permis de conduire… ), fait remarquer le rapport.

Premier du genre, ce rapport deviendra, pour le Conseil civil, un exercice régulier. Un rapport sur les discriminations au Maroc sera établi annuellement pour mieux comprendre le phénomène. “Nous avons voulu que ce travail soit qualitatif et non quantitatif. Nous n’avons pas procédé à des classements, car, pour nous, l’important, c’est d’évaluer l’impact des discriminations”, conclut Mehdi Ataibi.

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